Hier et aujourd'hui, Lagacé relatait un cas probant de catfishing, dans La Presse. En gros, le catfishing, c'est l'idée d'alimenter un ou plusieurs faux compte(s) dans un but pas toujours malveillant d'entretenir et/ou collectionner de (fausses) relations amoureuses et amicales.
Son amie, elle s'appelait Kim et elle n'a jamais existé. Plusieurs gens semblent aujourd'hui s'étonner de cette histoire, consternés d'apprendre qu'il est possible de se glisser dans la peau d'une ou plusieurs autre(s) personne(s) sur une aussi longue période de temps. Mais le phénomène n'a pourtant rien de très nouveau.
Au milieu des années 2000s, il y avait une «comme Kim» qui sévissait sur les sites de rencontre et logiciels de clavardage comme MSN. Peut-être s'agissait-il de Kim? J'ai envie de te raconter son histoire.
La mienne, parce que oui, je suis une autre de ces victimes, elle s'appelait Joëlle. J'avais 19 ans, été 2004. Période vulnérable de ma vie, je sortais à peine de l'école secondaire. Cette fille, elle était AWESOME. Et assez jolie. Nos convos ont rapido été transposées sur la ligne téléphonique, à un point où on n'avait même plus à ouvrir Messenger.
Elle pouvait m'appeler alors que j'étais à visionner une 46ème reprise d'un vieil épisode des Simpsons à TQS (au souper) et la discussion prenait souvent fin au beau milieu d'une infopub de MagicBullet, à l'heure du last call.
Aucun doute, on se voulait pis on s'en faisait des promesses de longues nuits à rire, jaser pis à se faire l'amour. Mais à ce moment, on se contentait de ne pas se voir pis d'occuper malgré tout une trop grande place dans la vie de l'autre. On se partageait tout. Absolument tout. Il y avait assurément un peu de vrai dans son histoire, j'ose espérer.
Je me souviens qu'elle m'avait précisé dès le départ qu'elle était dotée d'une espèce de don prémonitoire qui lui permettait de mal feeler quand quelque chose de grave arrivait à une personne qui lui est chère et que c'était fort probable qu'elle me téléphone à tout moment pour s'assurer que tout allait bien de mon côté.
Un jour, j'ai reçu cet appel alors que je dormais. Elle pleurait. Ensuite, sans nouvelles pendant 3-4 jours. Le quatrième jour, elle s'est connectée sur MSN et sous son pseudonyme on pouvait y lire: «Je t'aime tellement mon grand frère!! Tu vas nous manquer! Pourquoi toi?? :'( :'(»
On s'est parlé au téléphone et son acting de fille endeuillée ne m'apparaissait pas comme très convaincant. Elle a même fini par choker les funérailles de son frère. Les failles dans ses histoires s'enchaînaient et je me montrais de plus en plus méfiant.
Et un soir, alors qu'elle m'appelait de son bon vieux téléphone résidentiel, son père a pris la ligne. «Annie, as-tu bientôt fini? J'aurais besoin du téléphone.»
Je capotais. Elle ne s'appelait pas Joëlle.
«Mon père pense que c'est ma petite soeur Annie qui est au téléphone, c'est pour ça.»
OUIN, OK. On a continué à jaser un peu malgré tout, mais je savais que c'était la dernière fois. Et c'est là que sa petite soeur l'a relancée: ANNIE, MOI AUSSI J'AI BESOIN DU TÉLÉPHONE. RACCROCHE!
On ne s'est plus jamais reparlé.
Une année plus tard, j'apprenais que des amis et connaissances étaient tombés dans un semblable panneau avec une fille qui s'apparentait à cette Annie. Mais la situation s'est avérée plus désastreuse pour eux: elle était mieux préparée et son réseau de fausse famille, faux contacts et amis était plus exhaustif que jamais.
Cette seule et même personne arrivait à implanter un univers complet, inventé de toutes pièces, dans la cyber-vie des gens. Un roman dont vous êtes le héros, en temps-réel. Je dois dire que ses personnages étaient solidement structurés. Tous inspirés de la vie des crédules qui s'étaient confiés à elle. Il arrivait aussi qu'elle se fasse passer pour des figures médiatiques.
J'ai cet ami qui a dû effacer de sa tête une vingtaine de relations virtuelle qui en vérité n'avaient jamais existé. Elle l'avait amené sur un shitload de fausses pistes qui avaient une incidence directe sur la plupart des sphères de sa vie.
Je suis persuadé qu'il s'agit de la même fille. Que Joëlle est en fait Kim et toutes les autres.
D'ailleurs, un de ses plus vieux comptes (que j'ai longtemps soupçonné et qu'on m'a rapporté quelques fois) est toujours actif sur Facebook, alors méfie-toi si un jour t'en viens à développer trop aisément une complicité virtuelle avec une jolie fille qui prétend travailler pour TVA.
Je te déteste.