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Critique de la pièce «Tribus»: une immersion tout en beauté dans l’univers méconnu des personnes sourdes
Crédit: PL2 Studio

Assister à une représentation de Tribus, c’est accepter qu’il y ait un avant et un après. La pièce immerge les spectateurs dans l’univers méconnu des personnes sourdes, elle enchaîne les éclats de rires et d’émotions avec une habileté fulgurante, et nous permet de découvrir un acteur qui nous ébranle au plus profond de notre âme chaque fois qu’il met les pieds sur scène.

La tribu en question est un clan mené par une maman écrivaine (Hélène), bloquée dans l’écriture de son roman, et un papa élitiste (Christopher), qui tente d’apprendre une nouvelle langue. Le couple a trois enfants dans la vingtaine qui vivent encore à la maison: Alice essaie d’utiliser sa voix pour gagner sa vie, Daniel se perd dans la rédaction d’une thèse, même si son talent réside dans l’imitation des autres, alors que Billy est d’abord présenté par sa surdité.

Sans être souligné à gros traits, l’usage des mots, des langues, de la voix et de la communication est étudié de fond en comble, avec une humanité palpable à chaque détour.

La pièce s’ouvre sur une chicane, le mode de discussion préféré de cette famille. Pendant que son frère et sa sœur se chamaillent et que ses parents s’engueulent, Billy s’active en retrait, à l’abri. Un peu plus tard, il fera la rencontre de Sylvia, une jeune femme née de parents sourds, qui perd elle-même l’usage de l’ouïe. Ce jour-là, sa vie prendra une nouvelle tonalité.

Il y aura d’abord l’amour. Puis, la découverte d’une communauté de malentendants. Une envolée hors du giron familial. Et une pluie de questionnements sur son identité, sa place dans la tribu et l’intérêt de ses proches pour ce qu’il dit. Lui qui, aidé de ses appareils auditifs, a appris à parler, sans jamais apprendre à signer. Toujours prêt à s’adapter aux autres, à les écouter.

La réflexion sur la surdité est féconde. Billy a l’impression d’avoir enfin trouvé sa place dans le monde. Sylvia se sent de moins en moins bien dans ce groupuscule de sourds qui tourne en rond et qui manque de profondeur et de vérité. En parallèle, le père méprise l’idée que Billy bâtisse son sentiment d’appartenance sur sa différence, preuve selon lui d’un conformisme de bas étage.
PL2 Studio
Le texte fait visiter à notre esprit des lieux inédits, en plus de faire vriller notre cœur sur une base constante. Même si on peut reprocher une mise en place des acteurs qui nous coupe parfois de leurs visages et de leurs mains (la scène est flanquée de gradins de chaque côté), les passages en langage des signes offrent des bijoux de gestuelles, parfois plus puissants que les mots. Le drame de Sylvia, qui perd la capacité d’entendre la musique, les mots des autres et sa propre voix, fait naître en nous une empathie enveloppée d’impuissance. Les acteurs, pratiquement toujours justes, s’investissent avec finesse et intensité dans leurs personnages.  

Et surtout, il y a David Laurin. Par sa seule présence, l’interprète de Billy arrive à nous ébranler. La pureté et la sincérité de son regard nous sidèrent. Sa posture, sa façon de prononcer les mots comme un malentendant et les expressions faciales qu’il utilise pour illustrer l’éternelle distance qui le sépare des siens offrent une crédibilité foudroyante à son personnage. Quand il ajoute sa voix à son non verbal, on reçoit chacune de ses paroles comme une décharge d’émotions brutes. Et lorsqu’il exprime sa tempête intérieure avec les signes, on n’arrive plus à trouver les mots pour illustrer à quel point sa prestation est un moment d’anthologie du théâtre québécois.

Tribus est une pièce qui rend plus humain, plus ouvert, plus vrai et plus à l’écoute.

À La Licorne | Du 11 au 29 novembre 2014 | theatrelalicorne.com

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