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Le Détesteur: pourquoi cherche-t-on autant à s’approprier Léa?

J'ai lu à peu près toutes les critiques qui ont été faites à l'endroit de Léa et de son docu Beauté fatale, diffusé à Télé-Québec, la semaine dernière. 

Malaise. C'est un mot qui revient souvent, quand on jase d'elle. 

Méchant adon mais malaise est également le mot qui me vient en tête quand je vous lis parler de Léa. Malaise parce que comme le révèle mon titre, on cherche à se l'approprier. Depuis longtemps. C'est comme si sa vision du monde, de la beauté, de la laideur, de l'excès de poids et des obsessions ne lui appartenait plus. Ses projets sont rapidement les nôtres. Comme si le thème de la beauté était trop gros, trop important, pour qu'on permette à quiconque de l'aborder à sa manière propre, avec ses yeux, ses mots, ses lacunes et ses maladresses. 

T'as écrit un livre, La revanche des moches, mais non Léa, tu peux pas. Pas toi. T'es trop belle, t'es pas crédible. Laisse-nous t'apprendre, te dire comment t'aurais dû faire. L'a-t-on lu, ce bouquin? Peut-être même pas, mais on sait que le titre contient le qualificatif moche et que toi tu l'es pas. Malaise. 

T'as réalisé un docu qui traite encore du même sujet. Ish, non. Léa, non. Tu parles de toi, on te voit trop, laisse la place aux autres. Malaise. C'était pas si mal, mais la prochaine fois, consulte-nous. On va te montrer comment on fait, on va t'organiser une liste de tous les points que tu devras aborder. T'as oublié plein de choses.

La critique est légitime, elle est saine et elle permet d'avancer. Mais avec Léa, on se permet beaucoup plus que la critique. On infantilise, on sait mieux qu'elle. Elle doit nous rendre des comptes. Beaucoup trop de comptes pour une simple femme à qui on semble vouloir prêter la fonction de ministre de la beauté féminine. 

Quand on lit ou regarde Léa, on n'est pas vraiment à son écoute. On est beaucoup trop occupé à vérifier si tout est conforme à nos attentes collectives. Son univers, on s'en fout, c'est pas le sien anyway, c'est le nôtre. On se l'est approprié. On doit lui crier après, soupirer fort dans sa face pis la regarder de haut. C'est du supra-sérieux cette cause-là! Manque pas ta shot, Léa.

On l'oublie tout le temps mais l'importance que les médias accordent à une personnalité publique est un facteur qui joue beaucoup avec notre tête, il donne l'impression que c'est la personnalité elle-même qui s'en accorde autant. On a fait la même chose avec Xavier Dolan. C'est à partir de cette prémisse erronée qu'on base trop souvent notre critique et c'est là qu'on se met à légitimer notre arrogance.

C'est le momentum qui change tout. On aurait beau avoir diffusé 25 docus similaires au courant des 15 dernières années; c'est celui-là qui compte vraiment et pas les autres. Les Canal D et Vie peuvent bien mettre en ondes des docus incomplets si ça leur chante, on ne va pas leur en tenir rigueur, c'est à peine si on va s'y attarder. Mais celui-là, c'est celui de Léa et pour une raison que j'ignore, on est allé s'imaginer qu'elle s'est autoproclamée reine dans ce domaine. 

On ne fait pas ça, pourtant, avec, mettons, Pierre Lapointe. On prend son album tel qu'il nous est livré. S'il n'est pas si mal, on accepte qu'il ne soit pas si mal. Pis s'il nous semble incomplet, on dit que c'est un moins bon album de Pierre Lapointe. On deal bien avec ça, là. On capote pas. Il se reprendra. On ne cherche pas à le prendre par la main, on ne monopolise pas toutes les tribunes pour lui expliquer comment on fait ça, d'la musique.

Mais avec Léa, on est condescendant. C'est peut-être pas délibéré, mais c'est ça. On ne lui permet pas ses propres limites. Quand on visionne son docu, on ne la laisse pas nous partager la vision du monde d'une jeune femme ambitieuse de 23 ans. On souhaite qu'elle ait pensé à tout, qu'elle montre ce qu'on veut voir et dise ce qu'on veut entendre, à notre place. On espère l'unanimité.

Mais là je crois qu'on a trop parlé, trop exigé d'une seule personne, il est peut-être temps de se mouiller, d'en faire des choses, nous aussi, à notre manière et selon nos attentes. Au lieu de répéter à Léa qu'elle n'a pas ouvert la porte correctement, on devrait plutôt en profiter pour la franchir. 

C'est quand même un peu drôle de penser qu'au fond, on lui frappe sur la tête parce qu'elle semble être la seule à concrétiser ses idées. J'espère seulement qu'on est conscient que rester trop longtemps assis à regarder les autres pis à leur dire comment faire ne contribue pas plus à faire avancer une cause.

Je vous déteste.

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