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«Peep Show»: quand la performance érotique secrète s’invite sur les planches publiques
Crédit: Justine Latour

Peep Show, immersion étrange dans la bulle intimiste d'une danseuse érotique en pleine performance solo. Une comédienne de théâtre, Livia Sassoli, va donner à voir son corps, à la façon d'une danseuse dans les peep show d'antan, tout en campant un véritable texte dramaturgique. La petite cabine que visitait secrètement, de nuit, l'homme qui voulait saliver devant la performance érotique d'une femme…jetée sur les planches du théâtre actuel.
 
Nicolas Berzi aime particulièrement perturber, déranger, déstabiliser. Provoquer, mais pour poser de vraies questions. Nous faire marcher sur un sol instable, selon le credo d'un Valère Novarina. «La performance de la danseuse d'antan avait quelque chose d'éminemment théâtral, explique Berzi. Évidemment, cette théâtralité ne se plaçait pas dans les voix à longue portée qui allaient jusqu'aux balcons lointains, ni dans l'excès caricatural propre au langage théâtral, encore moins dans la priorité donnée au verbe, au langage parlé. Mais il y avait, fondamentalement, une présence incarnée; un corps qui performait; une voix et même quelques mots offerts, dans lesquels la danseuse campait un rôle. Il n'y avait plus qu'à prendre la chose, et la déposer sur les planches».
Artiste Inconnu (Crédit: Justine Latour) 
Il n'y avait plus qu'à? Presque. Pas tout à fait. Parce que Peep Show ne s'arrête pas au simple exercice de téléportation entre scènes de spectacle, même si c'est déjà beaucoup. Peep Show, c'est aussi une téléportation entre les âges, et l'occasion de questionner la perte et l'excès, tout en même temps, de la présence des corps en 2015. Car de nos jours, les hommes ne se déplacent plus tant physiquement pour aller voir des femmes performer érotiquement, dans la présence des chairs. Ils mettent le laptop sur la couette, font partir un porn sur internet et se masturbent devant l'écran. L'affaire s'est médiatisée, perdant de l'immédiateté, mais s'est également banalisée comme jamais. La nature même de la chose s'est profondément transformée: la «simple» suggestion érotique a fait place à un spectacle en surexposition dans lequel on voit absolument tout.
 
Une invitation à prendre le pouls de notre époque
Peep Show questionne: où est la valeur symbolique que nous donnons aux choses? Que se passe-t-il pour nos psychés, nos relations, nos actes et nos décisions, notre sentiment de responsabilité, à l'heure où «l'on se déplace de moins en moins pour vivre les choses physiquement, mais de plus en plus depuis le sofa», comme le constate Nicolas Berzi? Et que faire également du basculement des valeurs et des interdits, et de tous les codes moraux qui autrefois régissaient, pour le meilleur et pour le pire, nos fonctionnements et comportements? «Autant la consommation de porn sur internet a explosé, autant elle n'est pas vraiment assumée non plus. On le fait en cachette», observe Nicolas. Entre résidus d'interdits et libération excessive.
Peep Show (Crédit: Justine Latour) 
Et que penser de la présence permanente de la nudité dans l'art? En danse contemporaine et au théâtre, quel est l'apport et le sens de ces corps qui ne savent plus être sur les planches qu'entièrement nus? La danseuse de Peep Show pose la question et demande implicitement si sa performance est réellement plus dérangeante, immorale ou inacceptable que celle de ses pairs dans n'importe quel spectacle. Ce spectacle, c'est une question lancée au théâtre dans la forme également. C'est-à-dire, pour parler au public d'aujourd'hui, il faut lui proposer une nouvelle expérience. «Finie l'époque des grands textes, des grandes envolées lyriques et un peu grossières au travers desquelles le comédien faisait porter sa voix jusqu'en haut des balcons éloignés», précise Nicolas. Il semblerait que nos sensibilités aient profondément changé.
 
Les récits se délinéarisent, se complexifient, et se font sur plusieurs couches et dimensions entrelacées. La danseuse érotique d'antan se trouve ainsi propulsée au milieu d'un beau mélange à la croisée des projections visuelles, de créations sonores, de mots, d’objets physiques et de données virtuelles… Parce que c'est essentiellement au cœur de cette hybridité que se passent désormais nos vies et nos expériences. Et pour interroger, il n'y a sans doute rien de tel que d'examiner à la loupe les frontières et les interstices, à savoir la marginalité dans tous ses états. Aller voir dans les fentes et les fêlures ce qui se trame. Palper les limites pour le moins ténues entre raison et folie, normalité et anormalité, beauté et monstruosité. C'est le mandat que s'est donné Artiste Inconnu, la compagnie de Nicolas Berzi, et c'est ce que l'on observe ici, confrontés que nous sommes à la redécouverte de la danseuse érotique dans son acte étrange, sa posture particulière, ce rôle si singulier qu'elle se donne. 

Peep Show
Du 28 janvier au 7 février au Théâtre La Chapelle

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