En entendant les voix cassées, vieillies et hésitantes de ces survivants du camp de Auschwitz-Birkenau, aujourd'hui âgés pour la majorité de 80, 90 ans, mon cœur s'est serré et j'ai été envahie d'une grande tristesse. Ce mardi 27 janvier 2015, l'Histoire célébrait l'anniversaire des 70 ans de la libération de ce camp de concentration nazi, symbole des atrocités de la Shoah et dans lequel 1,1 million de Juifs a trouvé la mort. Au son de la voix de Miriam Friedman Ziegler, Paul Herszeg ou de Rena Schondorf , mes gestes sont demeurés en suspens: faire mon café et partir au travail devenaient soudainement si décalés et mes préoccupations quotidiennes, si futiles. Ces vieillards entendus étaient âgés de 8, 9, 10 ans lors de leur passage dans ces camps de la mort. Comment poursuivre sa journée tout bonnement après avoir entendu ces voix ? Comment ne pas en parler ?
La vie est déjà si fragile par nature, si complexe et parfois si dure: de quel droit peut-on s'acharner ainsi sur une communauté et faucher le futur, les amours, les peines et les joies de millions d'enfants, d'hommes, de femmes, de parents, de grands-parents? «J'ai cru que j'allais être incinérée ici et que jamais je ne vivrais l'expérience de mon premier baiser. Mais, je ne sais comment, moi, jeune fille de 14 ans, j'ai survécu», déclare Halina Birenbaum, survivante de Auschwitz.
L'Allemagne nazie a fait plus de 6 millions de morts (juifs et non juifs). Ce chiffre équivaut à environ la population complète du Québec dans les années 70. Rasée, la Belle Province. Beaucoup a été dit sur le sujet (commémorations, films, livres, reportages, attention médiatique, etc.) et on a même l'impression «que tout a été dit» et que plusieurs autres drames (génocide des Tutsis au Rwanda, génocides arménien et amérindien, les massacres du groupe Boko Haram au Nigeria, etc.) méritent aussi d'être racontés et dénoncés. Et c'est vrai.
Mais qui sommes-nous pour juger qu'on en a trop parlé? Quels sont les critères qui nous permettent d’établir un tel constat? Y a-t-il des quottas ou une date de péremption à respecter? Peu importe nos convictions/opinions politiques sur la question israélo-palestinienne, la violence qu’ont connue ces gens ne doit pas être oubliée ou mesurée. Ces voix, près de s’éteindre, doivent être entendues par-delà les politiques et les conflits étatiques, pour qu’on se souvienne de ce qui a été.
Et ces voix s'expriment au nom de toutes les voix. Elles sont celles qui racontent au nom de tous et pour tous. Elles portent le flambeau de tous les survivants, de toutes les victimes et de tous les drames, et ce, de par le monde. Elles sonnent l’alarme et nous forcent à l’éveil. Pour s’assurer que l’indifférence ne remporte pas la partie et ce, encore aujourd’hui, dans notre réalité. Agnès Gruda dans La Presse de ce matin le résume bien : «Ne jamais se contenter du rôle passif du passant indifférent … Témoigner, ne pas regarder passer le train». Et il faudra rester à l’écoute, et solidaires, car malheureusement d’autres voix raconteront d’autres horreurs.
Je me suis souvent demandée comment on fait pour mener sa vie quand on revient de la mort? Comment est-ce possible de se mettre du mascara, de se brosser les dents ou de nouer sa cravate quand tout petit, on a vu, entendu et senti les crématoires ou vécu l’horreur?
La résilience, j'imagine. Ce mot phare qui éclaire l'âme et qui permet de transformer une expérience atroce, en une suite constructive. Et, de même, en participant au devoir de mémoire. «J'ai été assez chanceuse pour vivre, dit-elle. Je veux que le monde le sache», concluait Mme Friedman Ziegler dans l'article de La Presse.
Ces voix entendues à la radio mardi matin sont parmi les dernières que nous entendrons. Bientôt, les êtres qui les animent s'éteindront à leur tour. C'est un pan de l'histoire qui va s'éteindre avec eux. Or, il faudra se souvenir pour eux. Pardonner, mais ne pas oublier. Exercer notre devoir de mémoire.
Des événements récents comme ceux du Charlie Hebdo, dont nous n’entendons déjà presque plus parler dans l’actualité, nous prouvent d’ailleurs à quel point nous devons renforcer notre écoute et notre mémoire.