Une des critiques qu'on m'envoie ici et là est la suivante:
«Tu parles beaucoup de toi. Tu devrais traiter des sujets d'actualité à la place d'étaler tes insécurités sur la place publique. Reviens-en de toi. Ça mène nulle part, c'que t'écris.»
À ceci je dois répondre que cette chronique ne se limite pas qu'à ce qui t'est permis de voir. Tu parles beaucoup, tu crois savoir, mais un important truc t'échappe. Un truc qui fait que toutes les personnes susceptibles d'inspirer les gens comprennent bien mieux que ta volubile gueule.
Tu peux le répéter autant de fois que tu le veux, que ma tribune peut parfois prendre des allures de journal intime, mais la vérité demeure que tu n'as pas accès à mon inbox. Tu n'as pas accès aux inbox des gens comme moi qui font preuve de candeur et se rendent vulnérables, des gens qui font sourire, pleurer, qui mettent aussi en colère. Ce n'est pourtant point un détail négligeable, au contraire, c'est un détail qui change absolument tout.
Sans mon inbox, je ne parlerais probablement plus de moi, parce qu'autrement, j'aurais l'impression qu'il ne s'agirait justement que de ma propre personne et j'aurais tendance à te donner raison. Mais nope. Si j'écris sur moi, c'est que j'écris surtout à propos de l'autre, à propos de toi, et fort heureusement, mon inbox qui déborde de confessions est là pour valider que mon destinataire se sent bel et bien interpellé.
Bien que je ne m'accorderai jamais le crédit, il n'est pas rare qu'un message inattendu me pop au visage, me laissant savoir, comme ça, que je viens d'empêcher, sans rien faire, qu'une personne en détresse en finisse avec sa vie. C'est gros, peut-être même trop pour que je puisse y croire. Mais l'info qu'on me balance en pleine barbe est là et me confirme que je n'écris jamais en vain.
Probablement même que le blogue mode duquel tu te moques régulièrement connaît son lot de confessions similaires, parce qu'il a abordé, à un moment ou un autre, le thème de la boulimie. Même l'interprète de la chanson aux paroles insipides qui ne veulent rien dire en heavy-rotation à CKOI a déjà sauvé au minimum une centaine de vies.
Chacun d'eux se dit fort possiblement la même chose à propos de ses détracteurs les plus virulents qui contestent sa raison d'être: «Si seulement tu pouvais avoir accès à mon inbox. SI FUCKING SEULEMENT.»
C'est en se confiant que les victimes de l'initiative #AgressionNonDénoncée ont amené d'autres victimes à se confier. C'est en écoutant l'histoire d'un autre que j'ai décidé de ne pas mettre fin à mes jours.
La vie est une grande classe dans laquelle chaque étudiant clueless est persuadé qu'en posant des questions, il ralentira le groupe, alors qu'en réalité la plupart d'entre eux n'attendent qu'une seule chose, que quelqu'un finisse par lever sa main pour admettre, au plus grand bénéfice de tous, qu'il n'a pas tout à fait compris la matière enseignée.
Et Internet change la game. Il aspire à ce que, tranquillement, dans cette grande classe, les mains levées l'emportent sur le violent silence qu'on nous a longtemps vendu comme nécessaire à la survie. Internet démolit cette idée et rappelle que la vulnérabilité est une force alors que la certitude ne sert qu'à persuader pour un moment, temporairement, pour tenter de valider la suprématie d'une personne sur une autre.
En cette 25ème semaine nationale de prévention du suicide, je t'écris ceci pour te laisser savoir que j'ai fait le choix d'avoir toujours la main bien haut levée, que j'ai opté pour la vulnérabilité.
Si l'opportunité de parler de moi, de l'autre, de toi se fait sentir, sache que, en tout temps, je la choisirai bien avant celle de pondre un texte d'opinion sur un sujet chaud d'actualité qui rapporte tristement trop de clics.
N'arrête surtout jamais d'envahir mon inbox. Lis, écoute et parle.
Je te déteste.