Une amie qui fait de la télé m'a inboxé, le mois dernier, pour qu'on se moque ensemble d'une publication Facebook qu'elle venait de prendre en screenshot.
Check ça!, qu'elle me lance, sans salut ni rien. C'est le statut qu'un de mes creeps vient de publier, poursuit-elle. J'admets qu'on a quand même ri. L'homme en question demandait, avec toute la violence du monde et dans une orthographe qui vient nécessairement avec le package, à ce qu'on assassine, sur le champ et sans procès, Guy Turcotte.
Un de mes creeps, qu'elle a dit. Tout bonnement, comme ça. Sans crier à l'aide. Un banal détail. Un de ses creeps, un homme qui, après l'avoir observée bouger dans sa télévision s'est empressé d'effectuer une recherche sur Facebook pour finalement lui envoyer une requête d'amitié. Un homme qui s'est mérité le titre de creep, possiblement après lui avoir écrit, à l'abri des regards ou publiquement, un message qui laisse croire que c'est pénis à la main qu'il l'a fait.
Un homme qui fait dire ARK dans la tête. Un homme qui, sans même s'en douter, appartient à un groupe d'individus, «les creeps», les siens, ceux de l'amie en question, oui, mais assurément ceux des autres aussi. Des creeps dont on a fait mention seulement pour mettre en contexte mais de qui on ne s'indigne pas pour l'instant. Des creeps qui existent, qui sont là, qui viennent avec le métier parce que c'est comme ça, on s'est fait à l'idée.
Il y a le creep qui arrive à voir du sexe dans tout, le creep qui lève le coeur en transmettant des photos non-sollicitées de son pénis, le creep qui explique comment il ferait l'amour, le creep qui complimente, le creep qui cherche à offrir du bon temps, des cadeaux, le creep qui invite à passer un week-end sur son bateau.
Ce qui frappe ici c'est le terme «Mes creeps» qu'on emploie de la même manière qu'on dit «Mon dernier compte d'Hydro». On ne demande pas de quels creeps il pourrait bien s'agir, on comprend déjà, au même titre qu'on sait qu'il est question d'une facture d'électricité provenant de chez Hydro-Québec. On deal avec parce que ça fait partie de la vie.
C'est la banalité du qualificatif qui inquiète et incarne en lui-même une telle violence qui laisse entendre qu'il ne suffirait de sonder toutes les femmes qui oeuvrent dans un domaine connexe à celui de la télévision pour comprendre que chacune d'entre elles doit indispensablement dealer avec ses propres creeps sur une base possiblement quotidienne.
«J'ai mes creeps et c'est comme ça, qu'est-ce qu'on peut y faire?»
Alors que tout le monde sait qu'il existe, le creep qui s'ignore creep sévit encore trop impunément. Si seulement on pouvait lui indiquer le nombre de fois où son nom et son visage se sont vus relayer systématiquement sur la tablette des monstres virtuels qui donnent envie de vomir et font parfois craindre le pire.
Si au moins quelqu'un pouvait lui faire prendre conscience qu'on les consulte les photos de sa femme, de sa mère ou de ses enfants et qu'on se montre triste pour eux à chaque fois.
Arrête ça, mon gars. Tu t'imagines peut-être que t'es le premier et que tu viens de changer, pour le mieux, le cours de sa journée? Nope. T'es jamais le seul à lui écrire. Et même là, comment peux-tu oser croire que tes envies du moment pourraient être les mêmes de son côté quand tu débarques d'outta the blue? Pire, t'es conscient qu'on la sollicite mais tu penses (à tort) pouvoir accoter toutes les offres déjà sur la table? Freaking nope. C'est pas comme ça qu'ça fonctionne. Arrête. Tu t'en sors pas. T'es un creep, malgré ce que t'en penses. Tu répugnes.
T'es un creep et les femmes ne t'appartiennent pas. C'est important qu'on te le rappelle, important qu'on en parle. Souvent. Parce que t'arrêtes jamais.
PS: Je t'invite à lire un autre texte supra éclairant sur le même sujet par Caroline Allard.
Je te déteste.