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Le Détesteur: Le Journal de Montréal dans sa crise de puberté virtuelle

Salut Richard, Sophie et les autres qui écrivez pour le même Journal. Si je m'adresse à vous aujourd'hui c'est que ma dernière semaine s'est avérée difficile sur le moral et je vous en tiens quand même assez responsables.

C'est que je vous ai vus capables de violence, de beaucoup de violence, d'une violence qui n'a plus sa raison d'être à l'ère de la démocratisation du savoir. La génération 4Chan pourrait vous le dire, ma génération, celle qui laissée seule à elle-même sévissait autrefois dans un Internet-jungle sans loi, celle qui trouvait refuge sur les forums de discussion, cette même génération qui a su tirer leçons de ses propres dérapages.

Des dérapages similaires à ceux qu'on vous connaît, à celui, notamment, de la semaine dernière.

Comme vous, on se permettait de détruire des vies, juste comme ça, parce que. Tant qu'on avait un fautif, nous n'étions plus responsables de la suite des choses. Ça faisait partie de la game, qu'on se répétait. Oh, il en souffre? Pas notre esti de problème, il avait juste à y penser avant. Mot-clé: intransigeance. Notre bouc émissaire n'avait pas un seul mot à dire sur le sort qu'on lui réservait. Et quand il le faisait, c'était pire. On prenait en otage son identité durant des jours, semaines, voire mois.

Puis un jour, la sagesse nous a rendu visite. On voyait bien que ça n'avait zéro sens ce qu'on était en train de faire là. Qu'on ne pouvait plus, dorénavant, faire passer le harcèlement pour de la critique et l'attaque personnelle pour de l'opinion. Il fallait prendre conscience de toute la place qu'occupait la mauvaise foi dans notre démarche à nuire et réaliser qu'en tant que communauté, on était là, comme de vrais sauvages, à se réjouir d'un malheur orchestré, à prendre part à une mobilisation malsaine avec l'idée de causer préjudice, à se mêler de tout, à obtenir réparation d'un crime bénin duquel nous n'étions même pas victimes.

Mais que cherchait-t-on à faire au juste? À pousser au suicide? Comment de jeunes adolescents idiots en sont arrivés à se poser ces questions, mais pas les chroniqueurs du Journal de MTL?

Toutes les pirouettes et les «Oui, mais…» ont servi d'outils pour nous permettre d'avoir recours à cette soif de violence. Tellement d'efforts et de temps déployés pour une seule et même cible. Je me revois sévir aux côtés d'anonymes à grands coups de rires bien gras et je me sens sale.

C'est pour ça, Richard, Sophie et les autres, qu'on le comprend aussi bien votre jeu. On était comme vous, à 16 ans. Tellement plein de hargne, tellement hostiles pour rien, tellement malhonnêtes.

Heureusement, ce bref, mais trop long séjour dans le côté obscur d'une époque révolue de l'internet a permis de faire évoluer des mentalités, les nôtres, de se demander si justement on n'avait pas été trop loin. Un retour à l'empathie, une sensibilité qui nous est désormais propre.

Mais vous êtes là, Richard, Sophie et les autres, à employer les mêmes méthodes hypocrites qu'on a jetées aux vidanges le jour où on en a eu assez de faire du mal. Vous fournissez les armes, la haine et les motifs et crissez le feu à tout potentiel d'émancipation. Comme ça, délibérément, complètement dépourvus de honte.

Le tort causé à Joël Legendre est un tort causé à toute une société. Vous amenez les gens à s'imaginer qu'il est tout à fait légitime de prendre part à des lynchages, que dès qu'on met la main sur un motif qui nous paraît raisonnable et que bon nombre d'humains y participent déjà, l'intimidation n'en est magiquement plus, que les artistes ont le devoir de s'assujettir systématiquement aux médias et au public, que l'erreur devrait être payée 1000 fois le prix, et ceci, même si la justice est déjà passée avant nous. 

Qu'il est bien normal de contribuer à faire tomber quelqu'un, à s'en féliciter, à l'achever une fois par terre et fournir avec enthousiasme les clous, le marteau et le cercueil. Vous encouragez à conserver au placard toute trace d'empathie, histoire de rendre le monde encore plus sombre qu'il ne l'est déjà. Vous rassurez ces braves gens avant même qu'ils ne puissent se sentir coupables de quoi que ce soit: ne vous en faites pas! Ça fait partie de la game! 

Votre game. Avec vos joueurs, vos codes et vos règlements. Une vieille game nocive qui n'a plus raison d'être à notre époque.

Je vous déteste.
 

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