Salut Mélissa, si je t'adresse cette lettre c'est d'abord que je n'ai pas la conscience tranquille, mais surtout, je trouve injuste que les choses se soient passées ainsi pour toi, en 2011, quand tu as dit Kim Jong Deux au lieu de Kim Jong-Il à l'annonce de son décès sur les ondes de LCN, et puis qu'après, plus rien, life goes on, c'est comme ça, parce que tout bouge et très vite.
C'est aussi la récente sortie de Monica Lewinsky qui m'a fait penser à toi, qui après plusieurs années à se taire brise finalement le silence et nous parle d'elle, dans une émouvante conférence, à titre de patiente zéro de cette culture de l'humiliation à laquelle nous avons tous adhéré avec l'avènement des nouvelles technologies.
Cette culture, on a pu l'observer pernicieusement sévir la semaine dernière alors qu'un certain Journal invitait ses lecteurs à démolir avec lui un individu en faute. Comme on a fait avec toi. Ce qui diffère légèrement ici c'est que cette fois nos prédateurs se sont vus confronter à des collègues, blogueurs, artistes, artisans et intellectuels qui les ont sévèrement blâmés. Ce qui, sans forcément obtenir réparation, a pour effet, j'ose croire, de permettre à la victime de reconnaître un brin qu'il y a injustice alors qu'on l'envoie se noyer dans une mer de violence et d'humiliation.
Mais on n'a pas fait ça pour toi, en 2011. On se trouvait, tout le monde, dans le camp des intimidateurs. Personne ne s'est levé pour toi. On t'a laissée là, toute seule, avec tous ces mots qui blessent, tous ces rires moqueurs qu'on appréhende. L'humiliation.
Les choses se seraient évidemment passées différemment en 2015. Les gens comme moi se seraient systématiquement rangés derrière toi. On a eu le temps de réfléchir, de se regarder et de conclure que ces malsaines manies à se dégoter un bouc émissaire de toute urgence ne visaient à rien d'autre qu'à détruire des vies.
Et bon, le temps a filé et toujours, personne ne s'est levé pour toi, il est trop tard, on a oublié, on est immédiatement passés à autre chose de plus drôle. Probablement même qu'une bonne batch de ces gens à s'être foutus de ta gueule ne sauraient eux-mêmes valider aujourd'hui qu'on dit bel et bien Jong-Il et pas Jong-Deux, si on les sondait sur le spot.
Je n'aime pas savoir qu'on a fermé le dossier au moment où il t'incriminait d'un non-crime qu'on t'a fait payer cher comme s'il en était un et pas le moindre. Comme si, anyway, on devait faire payer les gens pour quoi que ce soit.
Tu ne méritais pas ça.
Je n'aime pas savoir qu'on a laissé l'affaire comme ça en se félicitant d'avoir eu raison d'agir comme de véritables mardes, d'avoir eu recours arbitrairement à la bonne vieille justice populaire.
On s'est trompé.
Je ne deal pas bien avec l'idée qu'on t'ait laissée t'imaginer aussi longtemps qu'on ne s'en est jamais voulu d'avoir agi comme on l'a fait, sans la moindre trace d'empathie à ton égard. Je ne deal pas bien avec l'idée qu'on n'y soit jamais revenu parce que l'occasion d'y revenir ne se serait jamais représentée de toute façon.
On a eu tort, on a fait du mal, et je trouvais important de te le dire. Pas pour te victimiser ni pour te prendre en pitié. Simplement pour te dire qu'on a eu tort, parce que ces choses-là, on ne les dit pas assez souvent.
Comme ça, pour te laisser savoir que je n'ai pas envie de vivre dans un monde où la gaffe, aussi bénigne soit-elle, est lourdement réprimandée et la violence encouragée.
Je m'excuse.
Et je suis certain que les gens qui me lisent, partagent et likent ce billet s'excusent également.
Je nous déteste.