Le 7 janvier dernier, deux terroristes faisaient irruption dans les locaux de Charlie Hebdo et 12 personnes sont décédées. Cette journée-là, le monde entier s'est revendiqué Charlie.
Bien que les événements ont su forcer quelques larmes à s'échapper de mes yeux le soir-même dans le métro alors que je revenais d'un party de bureau auquel j'avais été incapable d'avaler une seule goutte d'alcool étant donné les circonstances, j'ai refusé d'être Charlie.
Je savais à ce moment-là qu'accepter d'être Charlie signifierait d'une manière ou d'une autre et par expérience que je me laverais les mains de tous les autres à venir. Je suis Charlie et donc Je ne suis pas être tous les autres.
Je me suis contenté d'en faire un statut dans lequel j'exprimais ma tristesse et où je pleurais l'état dans lequel se trouve notre pauvre monde. Un ami m'a confronté et faisait remarquer qu'on s'en câlisserait donc bin si une telle tragédie devait survenir outre Occident et sans qu'on prenne cette fois pour cibles quelques personnalités publiques. J'étais du même avis et je me disais qu'on devrait tirer leçon une bonne fois pour toutes du massacre du 7 janvier 2015 afin d'élargir notre sensibilité et ainsi la rendre moins sélective de manière à ce que l'horreur perpétrée chez nous, chez nos voisins, demeure intacte même à l'autre bout de la planète.
Trois mois. C'est le temps qu'on nous a donné pour faire mentir l'ami qui nous mettait la vérité en pleine gueule. Trois mois pour sauver l'honneur de la bannière Je suis Charlie, pour lui garantir un héritage autre qu'hypocrite, marketing et occident-centriste. Trois mois pour réfléchir à notre manière de consommer les tragédies. Trois longs mois d'interminable hiver pour se préparer à ne pas se câlisser de tous les autres.
Il le fallait. On s'est trop câlissé des autres souvent. Il y a eu Boston en 2013 qui a défrayé les manchettes alors qu'il y avait la guerre dans le monde et qu'on s'en câlissait tellement. Les occasions de prendre conscience que la vie humaine n'est pas plus ou moins importante ici qu'ailleurs se manifestent pourtant de manière beaucoup plus fréquente qu'auparavant.
Charlie Hebdo était cette fois de trop où il fallait le démontrer plus que jamais qu'on ne pleurerait plus uniquement «nos propres victimes» mais bien toutes celles du monde entier et que cette couverture médiatique monstre ne devait plus nous être exclusive.
Et puis il y eu le Kenya la semaine dernière: 150 étudiants froidement assassinés. Trois mois n'ont visiblement pas suffit pour nous faire réfléchir de façon significative puisqu'on s'en câlisse toujours autant. Je suis Paris mais Je ne suis pas Garissa. Les plus perspicaces feront remarquer que les médias d'ici en ont glissé un mot. Oui. Glisser un mot. Un seul. Quelques billets ici et là. Un fait divers, quoi. Rien à voir avec Boston ou Charlie.
Ce qui se passe au Canada, aux États-Unis ou en France pourrait se rendre jusqu'à la chambre à coucher, mettre en péril la sécurité personnelle et c'est pour ça que ça compte vraiment, que ça touche autant. Depuis bien avant les attentats de 2001 qu'on n'est pas sans connaître tout ça. Mais on ne corrige rien. On laisse aller et on pleure pour ici et se ferme les yeux pour ailleurs.
On opte pour un attendrissant chaton en page couverture du journal alors que sur les médias sociaux circulent les images d'étudiants kényans qui baignent dans le sang et à qui la vie vient d'être brutalement arrachée. Photos accompagnées d'un cri du coeur qui rappelle avant toutes choses l'indifférence de nos médias. Certaines personnes de mon entourage ont même eu vent de cette nouvelle quelques jours plus tard par l'entremise de Facebook tandis que Charlie, c'était tout de suite, sur toutes les lèvres en temps-réel.
Après Charlie Hebdo, se câlisser du massacre au Kenya est un choix terriblement délibéré. Se câlisser de manière aussi sélective du meurtre de 150 universitaires à Garissa devrait être criminel.
Mon ami avait raison. On s'en câlisse et il apparaît maintenant évident que Charlie était une sacrament de fraude. J'aurais donc voulu lui faire penser l'inverse.
Check nous bin pleurer le prochain soldat canadien et lever le nez sur tous ceux qui se feront un devoir (avec raison) de nous rappeler l'indifférence dans laquelle nous avons laissé le Kenya en avril 2015.
Nous ne sommes doués qu'à perpétuer à tout jamais la même faute. On s'en câlisse.
Je vous déteste.