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Le Détesteur: ce que cette génération semble avoir mieux compris que les autres
Crédit: Fabienne Legault

Il y avait cette dame à qui on a volé l'anonymat. Je résidais chez mes parents dans les Basses-Laurentides quand on m'a laissé connaître son prénom pour la première fois. Chantal.

Chantal de St-Eustache, la municipalité de. Je précise parce que déjà, je sais que les gens qui viennent du même coin ont compris dès la première ligne de qui il s'agissait. Son nom de famille? Aucune idée. Je crois même ne l'avoir jamais vue, Chantal. C'est que j'habitais à Pointe-Calumet. C'est dire combien cette femme est une légende.

Tout le monde connaît Chantal. Et c'est bien ça le problème. Chantal, c'est une femme assignée homme à la naissance. C'est pour ça que tout le monde connaît Chantal. On a fait d'elle une bête de foire, quelque chose d'inhumain. Dans la cour d'école, quand on voulait rire, on disait d'un gars qu'il était le petit copain de Chantal. Même quand Chantal n'était pas là, on se moquait de Chantal. Je n'ose même pas m'imaginer les horreurs qu'on a pu lui dire en plein visage.

À moins de l'avoir côtoyée, une circonscription complète (voire deux) n'aurait jamais dû connaître le prénom de cette dame et encore moins de cette façon. Chantal est une héroïne. Elle s'est octroyée une permission que bien peu de gens qui vivent cette situation se seraient octroyée à l'époque. Elle a résisté à l'ignorance, à la transphobie, non pas par choix, mais bien parce qu'il était vital pour elle d'apporter ces changements à sa vie. Chantal est une femme, quoi qu'en pensent ceux qui la veulent homme.

Si je parle aujourd'hui de Chantal c'est que parmi mon lectorat et abonnés sur Facebook,il y a des hommes assignés femmes et des femmes assignées hommes. Des individus en transition et d'autres qui se revendiquent sans genre. Plusieurs. Des Jonathan, Sophie, Patrick, Marc-Antoine, Alyssa et Julianne qui n'ont attendu l'approbation de personne pour Être. Je les trouve incroyablement beaux et belles.

Sans vouloir banaliser ce par quoi ils et elles ont dû passer et sans non plus crier victoire, je ne peux m'empêcher de souligner qu'il semble s'être produit quelque chose d'extraordinaire chez cette plus jeune génération, et là, il faut comprendre qu'il s'agit ici du regard d'un homme de 30 ans qui n'a pas mis les pieds au secondaire depuis déjà plus d'une décennie.

Une décennie c'est pourtant presque hier, mais quand même, je sais qu'à l'époque un Étienne n'aurait jamais pu même caresser l'idée qu'un jour peut-être finalement il serait Jeannie. On savait tous trop bien que cette Jeannie aurait été rejoindre Chantal, qu'on l'aurait cruellement dépouillée de son statut d'humain et que Chantal aurait peut-être même connu un peu de répit alors que tous auraient concentré désormais les efforts sur le cas de Jeannie la bête.

Et là il y a Sophie qui interagit avec les gens sous mes publications, à qui on dit Sophie et «elle», parce que c'est Sophie et qu'elle est une femme trans* et que c'est comme ça. Sophie est anonyme comme tous les autres dans la mesure où elle commente, on lit et on passe au prochain commentaire. Inaperçue. Une fille qui commente. Rien de plus banal. On ne s'arrête jamais à son genre.

On ne fait pas de Sophie une Chantal et c'est ici que semble s'être opéré un changement du côté de cette génération qui n'a guère connu la vie avant Internet. À l'instar de Chantal, on aurait pu dire de Sophie qu'elle est «Ark.», mais Sophie est plutôt «Ah, ok, oui, ça se peut.». Sophie n'est pas une bête et Marc-Antoine non plus.

Je réitère: je ne connais rien de ces personnes, des moqueries qui les ont peut-être foudroyées et qui les foudroient possiblement encore. Je ne prétends pas que c'est facile et qu'elles ne sont jamais victimes de discrimination. Je dis seulement que tout ce qu'elles accomplissent présentement aurait été impossible, voire impensable, il y a de ça une décennie dans une école secondaire de Deux-Montagnes, St-Eustache ou Oka et même sur Internet.

Je tenais donc à saluer le courage de ces jeunes gens qui de plus en plus font le move et qui certainement, sans le savoir, transmettent ou transmettront ce même courage aux gens de leur génération, de celles à venir, et encore plus magnifique, qui sait, des plus vieilles qui n'ont jamais su le trouver.

Je vous observe et vous êtes tellement merveilleux.

Et Chantal, si tu lis ceci, pardonne-moi d'avoir eu à connaître ton prénom dans ces circonstances. Ça ne fait aucun sens que t'aies dû subir tout ça seulement pour avoir osé entreprendre ce que personne ne fait jamais: être fucking toi-même.

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