Je célébrais les premiers souffles de ma jeune vingtaine quand j'ai joué à GTA: San Andreas pour la première fois. On m'invitait à me glisser dans la peau d'un homme noir. Curieux, j'ai tout de suite obéi à ce bon vieux réflexe Google qui m'amena à consulter les forums Internet dédiés à l'univers du jeu vidéo afin de trouver réponse à une question qui m'apparaissait pourtant si naïve, mais qui plus tard allait lever le voile sur un truc qui à ce moment m'échappait tellement complètement: mon privilège.
Alors voilà, réponse trouvée: je ne pouvais pas adapter mon personnage à la couleur de ma peau. Correct, que je me disais. Je n'allais pas faire une crise pour ça, j'veux dire, je le savais avant de compléter l'achat, je l'avais bin vu sur le visuel de la boîte qu'il me fallait personnifier un homme noir. C'est juste que point de vue expérience, j'aurais préféré pouvoir choisir, me glisser dans le corps d'un bonhomme qui correspond un peu plus à mon allure physique. Je n'en avais pas contre les noirs, c'est seulement que la couleur de ma peau en était une autre que celle-ci et donc, je cherchais candidement à transposer le contenu de mon miroir dans l'écran de ma télé. Mais bon, all good.
Quelques années plus tard, je faisais la rencontre de cette femme avec qui je partage la vie et le compte Netflix depuis 8 ans bientôt. Elle est d'origine haïtienne. Elle me faisait alors remarquer que de son côté, jamais elle n'avait ressenti ce besoin d'emprunter l'apparence physique d'une femme noire dans un jeu vidéo. Elle prenait l'homme (ou la femme, si elle figurait à la sélection) blanc sans broncher. Elle racontait même qu'étant enfant, elle se représentait sur dessin avec ses crayons de cire en jeune princesse à la peau beige.
C'est ainsi que je prenais enfin conscience de mon privilège, qu'on m'avait vendu la couleur de ma peau comme une couleur neutre, standard, celle de monsieur-madame-tout-le-monde. Il me fallut cette histoire de princesse de couleur blanche pour réaliser que je m'étais déjà permis de pleurnicher dans ma tête sous prétexte qu'une fois, et une seule fois seulement, «on n'avait pas pensé à moi», l'homme blanc privilégié, sans même réaliser que tous ceux à qui on n'avait pourtant jamais pensé depuis forever avaient toujours fermé leurs gueules et accepté de se voir attribuer, par défaut, le personnage d'un white dude.
Si je parle de ça maintenant c'est que dernièrement, le jeu de survie Rust a connu un important update. Alors qu'initialement, depuis sa sortie en 2013, on avait confié à tous les joueurs cet homme blanc, chauve et nu, les récentes modifications permettent maintenant d'attribuer aléatoirement l'origine ethnique dudit protagoniste de manière à ce que tout le monde aie à composer désormais avec l'apparence que le hasard a bien voulu lui remettre.
Résultat: les white boys ont pris d'assaut les forums Internet pour se plaindre de ces changements en prenant le soin de préciser qu'ils n'étaient évidemment pas racistes, seulement, ils trouvent injuste qu'on leur confisque le droit de choisir eux-mêmes la couleur de leurs avatars. Et c'est ici que le privilège frappe une fois de plus en pleine gueule: ils ne l'ont jamais eu, le choix. Un homme blanc, et rien d'autre, était imposé à tout le monde. Et tout le monde, c'est tout le monde; pas seulement l'homme blanc.
Les personnes jouissant du privilège en sont donc venues à interpréter l'avatar du mâle blanc imposé sans autres options possibles comme étant un choix. Ainsi, une fois dépouillées de «ce choix», on pleure à l'injustice. Quand même incroyable.
C'est dire combien le privilège rend aveugle, pleurnichard et égoïste. Et ceci, on ne le sait pas tant qu'on ne l'a pas vérifié. À ton tour.
Je vous déteste.