La semaine dernière, les médias sociaux se sont enflammés après que Mitche D, propriétaire du resto Le Chien Rose, installé dans Ahunstic, n'aie pas su réagir en douceur — tel qu'exigé par la plèbe — à une critique négative rédigée sur sa page Facebook par une cliente mécontente.
#LESGENS, armés d'une extraordinaire mauvaise foi, s'en sont alors eux aussi donnés à coeur joie sur les avis négatifs, ce qui, par la bande, a donné naissance à une campagne de salissage. Malgré qu'on soit tentés de croire que la proprio aurait dû réagir autrement, il semble pourtant que tout le monde soit passé à côté de l'essentiel.
C'est que dernièrement, on est amenés à penser que parce qu'une personne qui nous apparaît comme visiblement fautive à l'intérieur d'un témoignage écrit (ou encore sur vidéo), son droit de s'insurger du sort qu'on lui réserve lui est du coup systématiquement révoqué. Parce qu'évidemment, une personne jugée par la plèbe coupable aurait crissement avantage à fermer sa crisse de gueule plutôt que de se faire arrogante envers ses détracteurs, sans quoi il se pourrait qu'on l'observe davantage s'enfoncer et alors totalement perdre le contrôle. Les experts en médias sociaux s'empressent même de féliciter les «bonnes gestions de crise», c'est-à-dire, plus souvent qu'autrement, qu'on applaudit ceux qui rapido savent mettre l'orgueil de côté, se crisser à plat ventre sur le plancher et présenter les excuses les plus formelles afin d'éviter le backlash.
Même si demander pardon semble être la meilleure chose à faire dans l'immédiat, l'approche ne contribue qu'à dépouiller toujours un peu plus l'humain du peu d'humanité qu'il lui reste alors qu'on le récompense sans le vouloir pour son intransigeance — sa soif de sang — à l'endroit d'une seule personne — le bouc émissaire — et sa récente manie de contribuer à tous les deux jours à un nouveau lynchage public.
C'est qu'on oublie toujours de tenir compte du détail le moins négligeable de chacun de ces cas: le fautif, avant même d'être dans la faute, fait déjà face à une probable humiliation. Sortir de chez lui l'oblige dès le départ à marcher sur des oeufs et on espère vraiment pour lui qu'il ne sera pas à l'origine d'un accrochage avec un autre client à l'épicerie parce que OUFFF QUE ÇA VA BRASSER SUR LES MÉDIAS SOCIAUX, on lui en fait la promesse. En gros, ce qu'il faut interpréter ici, c'est qu'il serait mieux pour tout le monde d'agir infailliblement, avec précision et perfection, parce que la moindre maladresse pourrait faire de ce banal et très humain cas isolé l'histoire de toute une province, qui elle est ensuite récupérée par les médias.
On demande donc à notre fautif de prendre la critique comme un adulte alors qu'en réalité il se bat pour conserver la dignité qu'on lui a d'avance retirée de force. Il nous suffit, en tant que spectateur, de le tenir pour responsable d'un bénin crime pour ne plus arriver à voir ce qui s'est réellement produit sur les lieux du «crime»: on a pointé une arme sur sa tempe, l'a fait s'agenouiller puis menacé de ternir sa réputation en rendant publique cette anecdote qui ne concerne personne d'autre que celles impliquées.
Prenons cette vidéo où on voit deux femmes brandir la caméra au visage d'un couple qui dans son auto avait laissé seul un chien au beau milieu d'un stationnement de centre commercial sous le soleil plombant: au premier visionnement, l'arrogance des fautifs nous force à prendre pour celles qui filment, mais le malaise fait vite de s'emparer de nous. N'importe qui dans cette position, fautif ou non, sous la menace d'être la prochaine victime d'un méga lynchage virtuel serait porté à lutter contre une trop sévère conséquence lourde de répercussions qu'on s'apprête à lui faire encaisser.
Rendu là, que ce couple soit coupable ou non n'importe plus: il l'est, dans le tort, mais d'abord ça ne nous regarde pas et surtout, là n'est tellement pas la question. C'est qu'on attribue sa vive réaction à un refus d'admettre qu'il a commis une erreur, mais s'il-vous-plèbe, ne faisons pas comme si personne ne comprenait. Ce couple comprend bien pourquoi il est pointé du doigt, mais sous la menace de voir sa vie (ou son commerce) s'effondrer, il demande seulement à être traité justement, sans violence et en dehors de l'oeil public. Autrement, sans l'humiliation comme arme de destruction massive qu'on lui promet, il est probable qu'avec un peu d'humilité il admette rapidement ses torts. Mais on ne lui laisse même plus cette chance: tout de suite on cherche à lui donner la plus sévère des peines. Il se voit donc forcé du même coup de reconnaître que la campagne de lapidation dont il est la cible est pleinement méritée alors que clairement elle est inhumaine.
On veut faire payer tout le monde en tout temps. Voilà ce que nous sommes devenus: de perpétuelles victimes qui souhaitent voir leurs mini-injustices quotidiennes se régler sur les chaînes d'info en continu et faire payer cher, très cher, ceux ou celles qui sont à l'origine de nos bobos les plus moindres.
À moins qu'il soit exceptionnellement question de sexisme, xénophobie, d'homophobie ou transphobie, — on parle ici de véritables enjeux qui méritent qu'on s'y attarde — il nous faudrait faire preuve d'un brin plus d'indulgence à l'égard de nos concitoyens qui s'opposent — avec raison — à l'humiliation qui leur est injustement servie.
Je sais bien que monsieur-madame-tout-le-monde aimerait lui aussi prendre part aux discussions sur la place publique, mais pour ça il lui faudrait d'abord commencer par s'intéresser aux questions qui importent réellement et finalement cesser de vouloir envoyer en prison l'employé de chez Tim Hortons qui a omis de lui remettre ses 25¢ de change.
Cessez donc de plèber.