La dernière fois que j'ai sangloté pour vrai, c'est en 2013, quand mon chien est mort. Il faut savoir aussi que je n'ai jamais pleuré la perte d'un humain autre que les membres de ma famille immédiate.
Cette semaine j'ai mis fin à tout ceci : j'ai pleuré David Bowie. Pathétique, je me disais. Voyons, pleurer Bowie, pourquoi autant impliqué émotionnellement? Étais-je vraiment cet idiot de fan qui cherche à se convaincre que la mort d'une idole de toujours l'a rendu pas mal plus inconsolable que tous les autres?
Il s'est avéré, heureusement, que finalement : non. Nul besoin d'investiguer des heures pour valider que le départ de Bowie a fait éclater la plupart des collègues, ami-e-s et famille. Et pas comme de faux-culs crocodiles. De vrais sanglots.
Si nous pleurons aujourd'hui de larmes chaudes et sincères Bowie l'intemporel, c'est que l'on pleure notamment qu'il soit mort Bowie, l'authentique. Nous pleurons, attendris, touchés, son refus jusqu'au dernier souffle de mourir quelqu'un d'autre que Bowie l'artiste. Celui pour qui était impensable l'idée de faire ses adieux dans la peau d'un vieux monsieur bien peigné et par défaut sous le feu des projecteurs pour ce qu'il a déjà été, à qui tous les hommages sont dus et sans jamais avoir à se renouveler puisque de toute manière sans faire d'effort à chaque mi-décennie sera célébré.
Ce n'est pas Bowie, ça. Chacune des nouvelles secondes de gloire qui lui étaient accordées a dû être méritée à nouveau et avec autant de labeur et d'énergie qu'il a pu en mettre la toute première fois qu'il a défrayé les manchettes. Si nous pleurons David aujourd'hui c'est qu'il n'a jamais laissé tomber les adeptes de toutes les époques qu'il a su marquer. Il aurait pu, c'est si facile, si tentant. Les conditions sont pourtant bien réunies pour que les gens de son envergure s'assoient sur leur fame en attendant de s'en aller pour de bon. Devenir des caricatures d'eux-mêmes. Mais non. Déjà, le David Bowie qui nous livrait Reality en 2003 aurait dû nous apparaître comme le mononcle qui n'est plus dans le coup depuis un bon moment. Rien de ça. Du Bowie sans époque sur lequel on ne saurait inscrire de date avant d'aller vérifier sur Wiki.
Bref, si nous célébrons la carrière, la vie de Bowie, c'est qu'au courant de celles-ci il n'a cessé de nous implorer d'être Murphy, Sophie, d'être Nassim ou Simone. L'apologie de l'authenticité. Son univers, ses habits de scène nous ont hurlé d'être et sans attendre. David Bowie est le précurseur des Pinterest, Instagram, Snapchat et Youtube : regardez-moi être, vous aurez envie d'être à votre tour. En nous offrant pour une dernière fois le fascinant Bowie qui n'accorde aucune concession dans un ultime album au bout de 50 ans de carrière, il nous laisse sur un déconcertant message : c'est possible et jusqu'à la dernière seconde, bye.
Il l'a fait. Qui d'autre? Qui d'autre fait ça?
Il fait mal, le tabarnack. Il fait sentir cheap et impuissant. Cheap de ne pas être Murphy suffisamment, comme je le voudrais. Il fait mal paraître les artistes qui choisissent d'emblée stabilité et confort plutôt que de courir le risque de se péter sévèrement la gueule en se présentant de la façon qu'ils se comportent dans l'intimité de leurs salons. Il fait demander : mais pourquoi donc personne n'aspire à inspirer comme Bowie l'a fait?
Il aide à faire comprendre que le outta the box devient rapidement une confortable boîte à part entière et qu'il nous faut sans cesse lutter pour défoncer ses murs de carton qui d'ordinaire suffiraient pour faire suffoquer n'importe quelle âme artistique qui crache avec virulence sur autorité et conventions. Sa mort devrait contribuer à faire réaliser qu'on en est venus à se complaire dans le consensuel.
Voilà pourquoi nous pleurons Bowie, le dernier de son espèce.
Amoureux de toi pour toujours, je t'aime et merci pour tout.