Critique de « Coco » à La Licorne : l’amitié, pour toujours et à jamais (ou presque…)
Samuel LarochelleTu ne pourras pas faire autrement que de penser à tes vieux amis, ceux avec qui tu as grandi, ceux qui ont d’abord formé ton cercle social pour de banales raisons de proximités géographiques (ta rue) ou d’ambitions scolaires semblables (survivre au secondaire). Tu vas réaliser à quel point ils sont tout de même devenus ta raison d’être, ta bouée pour rester à flot, ton échappatoire, ton seul moyen d’avoir l’heure juste et ton meilleur public pour être ridicule, avec ou sans jugement. Puis, tu réaliseras que tes amitiés ont bien changé… Mais tu sortiras de Coco en te disant que c’était le plus beau cadeau que tu pouvais t’offrir en ce soir de janvier ou de février.
Écrite par Nathalie Doummar, la pièce nous transporte dans un chalet où sont réunies quatre jeunes femmes, après le décès de leur amie. Ayant entre leurs mains le journal intime de la défunte, elles découvrent certains fragments de son existence, de ses rêves et de ses peurs. Elles se remémorent au passage quelques pans de leur très longue relation : la fois où elles ont mis dans un pot des vérités difficiles à se dire en face (plaisir coupable de spectateurs), les éclats de rire qui donnent des crampes, les premières souleries, les discussions corsées, les doutes, les remises en questions, les valeurs qui se confrontent, les idéaux qui changent, la façon de gérer la mort qui approche…
Extrêmement rythmé, punché et drôle, le texte possède également la capacité de remplir nos yeux de larmes et la formidable habileté de nous obliger à réévaluer nos amitiés.
En effet, malgré l’amour que nous portons à nos amis, leur accordons-nous le droit de tout nous dire? Acceptons-nous ce qu’ils sont dans toutes leurs imperfections? Serons-nous d’indéfectibles alliés, peu importe leurs épreuves, leurs joies, leurs souffrances et les horreurs qu’ils peuvent parfois nous balancer? Ou sommes-nous devenues des bêtes sociales engourdies et si cruellement inquiètes de voir nos vies bouleversées que nous choisissons des amitiés gentilles, tout de même sincères et précieuses, mais néanmoins faciles?
Sans jamais appuyer trop fort, sans être moralisatrice, sans prétendre connaître toutes les réponses, Doummar nous encourage à réfléchir, entre une salve de rires, un élan de nostalgie, une caresse d’humanité et quelques perles sous nos paupières.
Il faut dire que ses mots sont portés par des comédiennes plus que brillantes. Anne-Marie Binette incarne une Vivianne candide, anxieuse et débordante de bonté, avec ses grands yeux irrésistibles et son non verbal capable de tout dire avec presque rien; Marie-Soleil Dion prend les traits de Maggie la dévergondée, toujours franche, et parfois bitch, avec un aplomb parfait; Kim Despatis interprète Katya la plus jeune, l’engagée, la révoltée, l’intense, avec un investissement total, mais un manque de nuances; Sarah Laurendeau prête sa jolie voix, son calme et sa délicatesse à une Simone de peu de mots, au grand cœur. Et puis Nathalie Doummar elle-même donne vie à sa Coco, en déployant tout son arsenal d’émotions brutes, avec une subtilité sidérante, des yeux et un sourire qui chavirent le cœur et une façon d’habiter totalement chaque silence qui nous renverse.
C’est magnifique, tout simplement.
Coco sera présentée à La Licorne jusqu’au 20 février 2016.