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Critique de la pièce « Le miel est plus doux que le sang » : dangereusement inspirante!
Crédit: Gunther Gamper / courtoisie TDP

À quoi pouvait ressembler la réunion des futurs ténors de l’art, Salvador Dali, Federico Garcia Lorca et Luis Buñuel? Quelles idées enflammaient les esprits de ces fils de bourgeois, tout juste sortis de l’adolescence, mais pas tout à fait ancrés dans le monde adulte? Comment envisageaient-ils de transfigurer le monde des arts et de révolutionner leur Espagne moribonde, à quelques années de la guerre civile? Voici quelques questions qui traversent Le miel est plus doux que le sang, une pièce aussi charmante qu’inspirante.

Dali, Lorca et Buñuel se retrouvent à Madrid, au début des années 20, à la Residencia de Estudiantes. Le poète et le cinéaste en devenir sont les premiers à se rencontrer, sous l’œil attentif de Lolita, une chanteuse de cabaret anarchiste qui prend plaisir à guider leurs pensées bouillonnantes, à commenter leurs œuvres et à encourager l’inédit, l’anti-sentimentalisme, le moderne et le contestataire.

Instantanément, on reconnait chez Lorca un charme naturel, des allures de dandy, une multiplicité de talents, une facilité à entrer en relation et une désinvolture des grands jours, grâce au jeu fougueux et enthousiaste de Renaud Lacelle-Bourdon. On se laisse charmer par l’énergie manifeste de Lolita et par la voix de son interprète Isabelle Blais : même si on sent sa justesse vaciller en d’infimes occasions, l’actrice-chanteuse déborde de vérité et de chaleur. On a toutefois quelques réserves sur le jeu un peu enflé de François Bernier (Buñuel), qui gagne heureusement en précision tout au long de la pièce.

Il faut dire que les trente premières minutes de la production sont plus ou moins convaincantes. Malgré les efforts investis pour créer un décor qui marque l’imaginaire (l’intérieur d’un cabaret, avec un faux éléphant grandeur nature en arrière-plan et des sièges capitonnés de tissu zébré et feuillu : clins d’œil parmi d’autres aux éléments qui inspireront les trois artistes, Dali en tête), on a le sentiment que les comédiens ont été abandonnés sur une scène bien trop grande pour l’utilisation qu’on leur en fait faire.

 Crédit photo: Gunther Gamper / courtoisie TDP
 

Toutefois, à la seconde où Salvador Dali va au-delà de brèves apparitions silencieuses et qu’il entre en contact avec Lorca, Buñuel et Lolita, la pièce prend son envol! D’abord parce que le Dali imaginé par les auteurs Philippe Soldevila et Simone Chartrand est parfaitement décalé, unique, drôle malgré lui et prêt à tout pour suivre sa façon de concevoir la peinture. Parce que son interprète, Simon Lacroix, semble né pour lui (re)donner vie, avec juste ce qu’il faut d’intelligence dans l’œil, de nuances et de folie. Et puis, parce que la dynamique des trois artistes, régulièrement flanqués de l’allumeuse de consciences, devient plus rythmée et captivante.

Le rapport ambigu qu’entretiennent Lorca, homosexuel plus ou moins assumé, et Dali, aussi « perdu » dans ses envies que dans son esprit, fera réagir Buñuel, un machiste homophobe qui s’inquiète de l’influence qu’ont ses amis l’un sur l’autre et de sa réputation à leurs côtés, dans la société espagnole d’il y a 100 ans.

Ayant pour matière première la période transitoire où les idées se confrontent, se forment et s’enflamment, la metteure en scène Catherine Vidal a particulièrement bien usé de son ingéniosité pour souligner les transitions de temps, de lieux et d’idées. Plus la pièce avance, plus la chimie prend, plus ses acteurs nous fascinent, plus les idées de leurs personnages se faufilent dans nos esprits, semant ici et là des notions qui peuvent encore enflammer les artistes et les révolutionnaires contemporains.

 Crédit photo: Gunther Gamper / courtoisie TDP

La pièce « Le miel est plus doux que le sang » sera présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 27 février 2016. 

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