Depuis le passage de Gab Roy à TLMEP en 2013, j'ai l'impression que pour échapper à la critique, les animateurs de radio et de télé, lorsqu'ils reçoivent en entrevue un personnage controversé, le mot d'ordre est plus que jamais le suivant: emprunter absolument l'approche ferme, intransigeante et qui ne laisse place à aucune ambiguïté. Autrement, le public, dupe, pourrait se laisser charmer par un message de haine et d'intolérance contre son propre gré. L'animateur serait alors accusé de complaisance, de mollesse et/ou de complicité.
Il faut se montrer durs, impitoyables et de mauvaise foi. Faire perdre la face et ne surtout pas laisser l'antagoniste s'en tirer indemne. Interrompre à tout moment de manière à ce que le discours ne puisse être livré limpidement.
Bien souvent, c'est fait au détriment de l'information, voire, de la démocratie. Ce fut le cas avec Anne-Marie Dussault qui recevait, la semaine dernière, Marine Le Pen sur son émission. La réputation de Le Pen et du Front National est bien connue chez ceux qui s'intéressent au moins un tout petit peu à la politique et c'est comme si Dussault avait cherché à s'adresser directement à ceux-là, et rien qu'à eux; à ceux qui savent déjà. Les convaincus. Les journalistes et chroniqueurs, ceux qui auraient pu s'insurger qu'on ait laissé Le Pen en dire trop et avec aisance.
Alors on ne lui a laissé aucune chance. C'était sauvage as fuck.
Mais Le Pen, même si déstabilisée, était tout de même foutument bien outillée pour contrer ce type d'entrevue stigmatisante et ô combien malhonnête. C'est qu'en France, les cons, ils les laissent parler. Ils les laissent s'enfoncer, se gunner dans la yeule eux-mêmes. Et les chroniqueurs, animateurs et journalistes sont eux aussi foutument bien outillés pour répondre à la connerie. On laisse d'abord le con dresser un portrait de lui-même et une fois les crayons déposés il gueule: mais regardez comme je suis con! Son opposant rétorque alors: très bien, maintenant à partir de ce portrait que tu as dressé de toi, laisse-moi t'indiquer précisément pourquoi tu es effectivement un sale con.
Vous savez qui a fait perdre la face à Sophie Durocher à TLMEP en début de mois? Ce n'est pas Geneviève St-Germain. Nope. C'est Yes McCan des Dead Obies. C'est ce dude qui a fait en sorte que Sophie Durocher a longuement fixé le vide après qu'il lui ait répondu élégamment et sans soupir ni roulement des yeux vers le ciel. Il l'a laissée parler, l'a écoutée sans chigner et s'est lancé dans une discussion sans perdre son calme. Sans que dans ses yeux il soit inscrit: ESTI QUE T'ES CONNE SOPHIE.
C'est ça qui déstabilise Sophie parce que d'ordinaire elle s'en tire facilement en faisant perdre le calme à ses opposants qui plutôt que de discuter calmement préfèrent s'emporter et la traiter de conne avec leurs yeux.
C'est comme si les invités se disaient: anyway, tout le monde la trouve conne Sophie Durocher, je vais faire mes yeux de quelqu'un qui la trouve donc bin conne et ça devrait suffire.
On l'oublie souvent, mais nos boucs émissaires sont en quelque sorte de très habiles érudits de leurs propres conneries, aussi stupides soient-elles. On a tendance à les sous-estimer. On se retrouve alors avec beaucoup de gens pour scander — par exemple — CRISSE DE CAVE ERIC DUHAIME, mais très peu qui pourraient tenir plus de 30 secondes avec lui dans un débat. Il connait pourtant bien son shit et le ressasse quotidiennement à la radio.
Jamais on ne discute. On va plutôt soupirer en guise de: inutile de dire quoi que ce soit, c'est déjà bien établi collectivement que t'es un esti d'épais et mon soupir fera plaisir à bien des gens, compte sur moi.
Quand Dussault a accusé Le Pen d'avoir recours aux insultes, Le Pen s'est empressée de lui demander quelles insultes avait-elle employées exactement? Dussault n'a jamais su quoi répondre et c'est à partir de ce moment que tout s'est mis à mal aller pour elle. Le Pen a solidement planté le dernier clou dans le cercueil de l'animatrice en lui rappelant qu'elle était journaliste et non pas militante et que si elle était pour accuser ses invités de tous les torts, il lui faudrait du factuel pour backer ce qu'elle avance. Chose qu'Anne-Marie Dussault ne s'est pas montrée en mesure de faire.
Parce que Dussault, comme tous les autres, a voulu saisir l'opportunité parfaite pour sauter à la gorge d'un bouc émissaire bien en vue, mais tristement, elle s'est fait prendre à son propre jeu. Inutile de passer trop de temps à se préparer quand on reçoit une proie aussi facile que Marine Le Pen, right? Well, nope. Too bad.
C'est incroyable quand même de penser que de banals «Ah oui?», «Pourquoi?» ou encore «Explique-moi.» peuvent s'avérer une véritable violence pour une journaliste qui a omis la partie la plus vitale de son travail: se renseigner.
On est tellement coincé dans le confort dogmatique qu'on a oublié comment débattre. On a oublié que l'adversaire aussi est autant sinon plus convaincu de ses idées qui divergent des nôtres. Qu'il les connaît bien, qu'elles lui sont chères. Que même si elles nous déplaisent, il serait essentiel de le laisser les exprimer.
Qu'il nous faudrait les présenter au public ainsi: voici ses idées. Les trouvez-vous idiotes ses idées? Moi oui et je m'apprête à vous démontrer pourquoi. Ensuite, il les défendra. Et je récidiverai. Est-ce bien ceci qu'il a voulu dire? Ah oui? Et pourquoi ça, ça et pas ça?
Mais pour le moment, c'est pas comme ça que ça se passe. On regarde le téléspectateur droit dans les yeux et on lui dit: regarde public, cette chose devant moi est un monstre. Écoute, j'aurais bien pris quelques minutes pour t'expliquer pourquoi tu devrais avoir horreur de ce monstre, mais il n'en vaut pas la peine alors il faut me croire sur parole, cette hideuse personne est un monstre et vraiment tu dois me croire pour la simple et bonne raison que je le dis. Oh et en passant, si tu n'es pas convaincu que cette abjecte créature est un monstre, tu n'es pas vraiment mieux qu'elle.
Souvent on a l'impression d'avoir gagné parce que l'homme ou la femme à abattre s'est récolté-e le soupir et le haussement de ton d'une dizaine d'invités sur un plateau de télévision. Mais ce qu'on ne réalise pas c'est qu'on perd chaque fois qu'on refuse de parler et d'écouter. À toutes les fois qu'on gagne de force, à toutes les fois qu'on lynche, qu'on veut servir des leçons et faire perdre la face. On perd.
Quand on fait sentir à une invitée qu'elle est conne en lui faisant les gros yeux qui hurlent CRISSE QUE T'ES CONNE, ce sont tous les gens qui ne comprennent pas ce qui lui est reproché qui vont se sentir épais de ne pas comprendre pourquoi on lui hurle au visage qu'elle est conne sans fournir d'explications. Comme si c'était une évidence. Comme si tout le monde était censé savoir.
Mais tout le monde ne sait pas. Et tout le monde n'est pas au même endroit.
Si d'avance certains sujets paraissent plus complexes que d'autres, imaginez combien ça donne le goût de s'y intéresser davantage quand toutes les semaines on traite d'imbéciles, empêche de parler et saute au cou de figures médiatiques qui ne partagent pas les mêmes idées que nous…