J'ai pas mal toujours aimé me maquiller, appliquer du vernis à ongles au bout de mes doigts et arborer divers bijoux, ceux d'hommes comme ceux conçus pour les femmes. Jamais assumé ouvertement, par contre. Pas avant cette année, du moins. Mais je savais cette inclination pour l'apparence du «elle» enfouie en moi.
Fan de lutte, fan de Bowie, fan de ma mère, de ma grand-mère. Et bien plus tard, fan de ma copine. La trousse de maquillage de ces trois dernières suscite chez moi depuis l’enfance un intenable «il me faut plonger la main dedans». Une fascination. Cette chose qui traîne un peu partout dans toutes les maisons où il m’a été donné de cohabiter avec une ou des femme-s. Qui est là, tout le temps, se renouvelle sans répit. En abondance. Abondance dans l’appartement, surabondance en magasin. Surabondance de couleurs ayant pour fonction d’adoucir les traits, de donner du relief. Transformer. Chixer. Agencer. Des couleurs agréables à humer.
Partout, à portée de main. Absolument partout et beaucoup. Efficacement packagé. C’est violent, quand j’y pense, cette obsession que j’ai cherché à occulter, réprimer, pendant plus de 30 ans. Une obsession gardée pour moi.
Puis, je me suis fait confiance. Tranquillement, c’étaient les doigts. Roses, les ongles. Ensuite, le fond de teint. Le eyeliner et le baume à lèvres rouge vif. Et les bijoux, ceux de ma copine. Tellement délivrant.
Je l’assume encore un peu timidement, mais je le fais quand l’envie me prend. Souvent. Toujours au moins un rappel. Les doigts, la plupart du temps. Le maquillage et les bijoux, dans les bars.
Quand j’ai commencé, je savais que d’enfin briser la glace exacerberait l’impression d’avoir des regards sceptiques et moqueurs qui se posent sur moi. C’est un peu comme se rendre à l’épicerie pour la première fois la tête rasée après 20 ans de cheveux longs. Le sentiment que tout le monde te regarde est exagéré x1000 alors qu’au fond t’es le seul à savoir pour ta nouvelle tête.
Cela dit, une fois cette impression déformée de nouvel initié passée, le malaise subsiste. Pas un grand malaise. Et pas tout le monde. Mais il y en a un. Chez les caissiers/caissières, notamment. Au moment de la transaction quand on me remet mon change et que le regard ne peut plus échapper à mes ongles Ardènés. C’est comme s’ils ne savaient plus où mettre les yeux. Petit sourire niais en boni et regard fuyant au moment de dire bye. D’autres gens vont se casser le cou pour vérifier s’ils ont bien vu.
Mais vraiment, le pire, ce sont les commentaires et les messages que j’ai reçus sur Facebook après avoir publié plusieurs photos de moi chixé. J’aurais offert à chacune de ces personnes un drink dans lequel j’aurais préalablement vomi mon végé-pâté. Des commentaires inquisiteurs, condescendants, des rires moqueurs, des «rires avec moi comme si c’était une blague», mais surtout beaucoup de gens qui se sont désabonnés ou m’ont unfriendé. Au moins 80 personnes ont cessé de me suivre en moins de 24h après la publication de deux photos.
En inbox sont apparus de vieux amis de l’école primaire et secondaire à qui je n’avais pas parlé depuis au moins 15 ans. Pour me demander si tout allait bien, si par hasard je n’avais pas oublié de prendre mes médicaments. Comme si légitimement ils se souciaient de manière aussi soudaine de mon bien-être.
Des inconnus m’ont demandé brusquement si j’étais en train de me transformer en femme. Et une bonne dizaine m’ont fait savoir qu’il s’agissait là d’un «comportement déviant» ou encore «contre-nature». «Tu trouves ça normal toi qu’un homme se mette du maquillage??», quand ce n’était pas tout simplement «ARK» ou «Non, là je suis désolé, mais je trouve que tu vas trop loin».
C’est un drôle de feeling. J’ai l’impression que je leur dois des explications. Comme si je ne pouvais pas m’en tenir qu’à ça: me poupouner parce que j’en ai envie. C’est qu’il y a forcément autre chose, right? Un coming out imminent. Je m’apprête à quitter ma pauvre copine pour un homme. Je révèle enfin qu’on m’a dès ma naissance attribué un sexe qui ne correspond pas à la personne que je suis. J’entame les procédures pour me faire pousser une paire de seins.
Comme si tous les homosexuels et hommes trans se maquillaient anyway. Comme si c’était le propre de ces gens.
De toute manière, je n’ai vraiment aucun problème à ce qu’on puisse penser ça de moi. Ce qui me titille sévèrement c’est surtout cette impression d’avoir des comptes à rendre à des inconnus, à de vieux amis. Comme si c’était important de régler ça LÀ LÀ, MAINTENANT, afin que tout le monde puisse en avoir le coeur net. Le monde, pas tout le monde, mais le monde, a bin de la misère avec l’ambiguïté. C’est pour ça qu’il se mêle rarement de ses esti d’affaires. Il a le sentiment qu’on est en train de le berner quand ce n’est pas assez limpide pour lui.
Je ne suis pas homosexuel et je crois bien qu’on m’aie attribué un sexe qui ne me pose pas problème à ma naissance. MAIS JE SUIS TRÈS HEUREUX DE CONSTATER QUE CES QUELQUES REDNECKS AURAIENT EU LEUR CRISSE DE MOT À DIRE SI TEL AVAIT ÉTÉ LE CAS.
Sinon, je tiens à le préciser: la plupart des gens n’en ont tellement rien à câlisser. Tellement rien. Au départ, t’es convaincu que tout le monde te regarde, et finalement, tu prends conscience qu’on est bel et bien en 2016.
Osez donc le maquillage, les gars. Ça fait tellement de bien.
Pas seulement moi qui vous le dis: Ton Petit Look en a également fait un papier la semaine dernière.