Salut Guy Nantel. J'aimerais te parler de cette affaire qui s'est produite la semaine dernière, de cet échange de mots entre Simon Jodoin et toi.
Ce qu'il faut d'abord savoir: ta publication initiale, celle où tu partages une vidéo d'un Justin Trudeau en pleine cérémonie sikh accompagnée du très mariechantaltoupéien commentaire: «Bon ben, on est rendu là ça a l’air», je n'en ai pas grand chose à foutre. Pas aujourd'hui, du moins.
Non, ce qui m'intéresse ici, c'est ta réponse au billet de Jodoin que t'as publiée sur ta page FB le 13 avril dernier. Dans celle-ci, tu dis qu'on cherche à te censurer, à te réduire au silence. Tu te positionnes en victime de la rectitude politique. Mais Guy, pourtant, et on te le répète depuis la dernière semaine, personne n'a cherché à te censurer. Pas une seule trace d'espoir de censure nulle part.
Des gens, dont Simon Jodoin, ont commenté ton commentaire parce qu'on est en 2016. Voilà ce qui s'est passé. Le voilà ton gros drame.
Tu n'es pas en train de livrer la bataille que tu crois être en train livrer, Guy. Tu n'es pas en train de livrer une bataille contre la rectitude politique. Du tout. Rien de ça. Tu n'as pas les social justice warriors à tes trousses non plus.
Ce même soir du 13 avril dernier, t'as remercié tous ces gens qui t'ont appuyé dans ta présumée bataille pour défendre la liberté d'expression, et t'en as même profité pour réitérer qu'il ne fallait surtout pas plier face à la censure.
Ta petite victoire, j'imagine. Tous ces nonos complètement clueless, aussi nombreux soient-ils. Tous ces nonos clueless qui s'en sont tenus qu'à ta version, qui dans les commentaires ont repris les exacts mots que tu venais d'employer. Pas ceux de Simon: les tiens. Ils n'ont lu que toi. Tous ces nonos clueless qui ont bien voulu te croire quand tu leur as dit qu'on cherchait à te censurer. Tous ces nonos clueless et paniqués après qu'on ait sonné l'alarme: le rédac en chef d'un magazine culturel tente de vous arracher des mains un truc hyper fondamental que vous avez: la liberté d'expression.
Comment peux-tu être confortable — et même remercier les gens — avec cette petite victoire? Comment peux-tu être à l'aise de célébrer avec ces nonos hostiles qui n'ont rien compris? Au départ il n'était pourtant question que d'une douzaine de nonos, que tu disais. Il ne fallut que quelques heures pour les voir débarquer par centaines.
Je présume que tu es à l'aise puisque tu as toi-même largement déformé la réalité (malgré toi? maladroitement?) pour que ton rôle de victime de rectitude politique ne fasse aucun doute dans la tête des gens. Tu t'es placé aux côtés des Hitler et Marine Le Pen. C'est pas rien là! Si vraiment on t'a comparé à Hitler, c'est grave. Mais non, Guy. On ne t'a pas comparé à Hitler. Ton crime qui n'en est pas un du tout est tellement bénin pourtant. Et tout le monde sait ça. Personne de sain n'a pensé que tu étais raciste non plus. C'est pas du tout ce qui a été dit. Mais t'y tenais. Sinon, tu n'aurais pas eu d'histoire.
Tu as présumé que tes détracteurs étaient tous Charlie en janvier 2015 afin de relever une probable contradiction dans leur comportement. Je le rappelle: ils ont commenté ton commentaire et non pas se sont pointés en face du Théâtre St-Denis pour faire annuler la tenue d'un de tes spectacles.
Si tu veux, on pourrait pousser ta logique plus loin et accuser Charlie Hebdo de vouloir censurer ses têtes de Turc. Tsé. Heureusement que dénoncer n'est pas censurer. Et le pire c'est qu'ici il n'est pas question de dénoncer: des gens ont pointé une connerie. Voilà tout. «Regarde combien c'est con ce qu'il a écrit, Guy Nantel».
Ensuite tu as parlé d'un «gag». Écoute, ce n'est pas moi qui vais légiférer à savoir si un truc est drôle ou pas. Mais un gag, non, il n'y en avait pas. Un commentaire ludique à saveur sociale, maybe. Déjà plus honnête. Le commentaire ludique peut être autant sinon plus drôle qu'un gag si tu veux. Mais appelons-le commentaire ludique. Pas gag.
Mais encore là, les médias comme tes fans s'en sont tenus à ta version: il s'agissait bien d'un gag. Parce qu'après tout, t'es humoriste, right? C'est ça. J'aurais dû être plus vigilant. Je ne sais pas déceler les gags quand je les vois passer, je ne suis pas humoriste. J'y connais rien. Prochaine fois je saurai. My bad: gag censuré -> humour en péril. Je tâcherai de m'en souvenir.
Tu as toi-même dressé de toi le portrait d'un monstre pour t'envenimer la situation, tu as donné l'illusion que ton cas était nettement plus grave qu'il ne l'était en réalité. Qu'on voulait ta peau ou je ne sais pas trop. Le bûcher. Tout dans ta réplique à Jodoin était exagéré, déformé. Voyons. On en serait revenus dès que t'aurais admis ta maladresse, dès que t'aurais pris le soin de nuancer un peu. Tu t'es donné beaucoup trop d'importance. Il t'a fallu jouer les grands défenseurs d'une liberté présumément en danger, il t'a fallu agripper au passage ce que tu as pris à tort pour une belle opportunité de résister face aux censeurs et à la rectitude politique. Mais t'étais tellement à côté de la plaque.
Ce n'était rien du tout cette histoire. Rien.
C'est ça qui a titillé les chroniqueurs, les intellectuels, les artistes et même tes plus jeunes collègues humoristes: tu nous as tous pris pour des caves. C'était surréel de suivre l'évolution de cette affaire. De voir que t'avais pu t'en tirer aussi aisément en nous prenant pour des épais, en nous racontant des âneries. De constater qu'autant de gens aient pu avaler cette histoire que t'avais toi-même romancée pour la rendre plus grosse.
C'est comme si tout le monde se contentait des faits que tu avais falsifiés sans même tenir compte objectivement de ce qu'avait vraiment écrit Jodoin. Tu avais ton étoile, juste là, sur le Hollywood Boulevard tout près de celle d'Hitler et ce sont ceux qui n'ont pas apprécié ton commentaire sur Justin qui l'avaient gravée là pour toi. On devait faire avec cette info, aussi loin de la vérité soit-elle.
Tu nous as servi une démagogie similaire à celle de la radio-poubelle. Mais ça fait tout drôle comme c'est sorti de la bouche d'un artiste. T'as évoqué la censure, la liberté de créer et de dénoncer. Tous les éléments étaient réunis pour que quiconque manque un peu de vigilance ait envie de se ranger derrière toi. LIBARTÉ que tu scandais tandis que tes fans s'en donnaient à coeur joie en commentaires sur le magazine Voir, les arts, les intellectuels, la gauche et la culture alors que les propos nuancés étaient systématiquement étouffés, moqués, marginalisés.
Les gens qui pointaient tes erreurs factuelles se faisaient solidement rabrouer par tes nonos. Des nonos hostiles. Tes nonos hostiles. Avec qui tu célébrais.
Moi perso, je ne serais pas confortable avec ça. C'est une bien déloyale manière de s'accorder une victoire. Surtout lorsque tout ceci se déroule devant le regard passif et accablé des gens pas dupes qui ont pris la peine de se renseigner.