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Le Détesteur: pourquoi je ne pleurerai pas avec vous la mort de Prince
Crédit: Johana Laurençon

Le 21 avril dernier, tandis que je profitais de la douceur métropolitaine sur la terrasse arrière d'un café, je me suis enfargé dans un fragment de conversation qui même elle semblait lutter pour faire comprendre à la planète entière qu'elle n'avait pas demandé à venir au monde. Small talk de premier verre de vin. De JEUDREDI clément.

— HEY! PRINCE EST MORT!

— Ah non! Il chantait quoi déjà lui?

— Je sais pu trop haha!

— C'est triste.

— Ouin.

— Chyna aussi est morte.

— Chyna?

— Oui. Celle qui faisait de la boxe.

— Connais pas.

— Ouin, moi non plus. Mais elle est morte en même temps que Prince.

Le fan de lutte que je suis avait envie de se retourner et préciser qu'elle était lutteuse, Chyna. Lutteuse à la WWE. Pas boxeuse. Et pour Prince, la réponse la plus évidente était Purple Rain. Celle qui était sur toutes les lèvres cette journée-là.

Le genre de small talk qui me donne envie de rentrer chez moi. Cynique. Une discussion où sont balancés en rafale des titres clickbait tirés de chez Buzzfeed. Le début d'une convo qui freine brusquement au pas de la porte. Un thème donné. Comme jouer à Piment Fort. Aborder un sujet, complètement décomplexé, léger, shameless: c'est correct, c'est jeudi soir, on prend un verre. Je t'annonce ceci bien relaxe: j'ai lu qu'une nouvelle planète avait été découverte, mais je sais pas laquelle. J'ai lu le titre sur mon newsfeed. C'est excitant, une nouvelle planète. Cela dit: j'en sais pas plus. Mais c'est vraiment pas grave puisque nos têtes sont débranchées pis qu'on jase pour jaser. Alors voilà: Prince le chanteur dont j'ignore absolument tout et Chyna — qui faisait de la boxe je présume — sont morts la même journée.

Prince était une légende, j'en conviens. Les légendes n'ont plus jamais besoin de présentation. On le sait, c'est tout, quand quelqu'un est plus-grand-que-nature. Les plus-grands-que-nature, on les célèbre. Ça va de soi. Quand ils partent, un vide est à combler. C'est bien normal qu'on ait envie d'en parler. Et quant au décès de Chyna, well, il vient en deux pour un. La femme à qui Prince a fait de l'ombre.

Mais voilà, j'ai voulu rentrer à l'appartement. Ce groupe d'amis était trop lourd. LOURD. Déjà que j'avais cherché à fuir ce chagrin affecté sur les médias sociaux… il fallut en plus qu'il traverse les écrans pour dégouliner sur mon quotidien, sur ma table, dans mon café.

J'ai horreur de ce qui est fake. Particulièrement quand on permet au fake de vivre sans la moindre opposition. Un fake consensuel où personne ne se sent mal de faire semblant.

Comme la fois où Leonardo DiCaprio était sur le point de mettre la main sur son tout premier Oscar. J'étais dans un bar, cette soirée-là. LOURD. Comme si vraiment tous ces gens en avaient un truc à fiche du premier Oscar de celui qu'il nous fallait appeler amicalement «Léo» ce soir-là seulement. Le monde entier avait franchement intérêt à jouer les connoisseurs du répertoire de DiCaprio parce que sinon, sérieusement, c'était la honte. Alors j'ai quitté. Je n'en pouvais plus d'être submergé d'une fakeness similaire à celle qui s'agrippe au ciel de Montréal les soirs de séries éliminatoires.

Mais revenons à Prince. Pour être honnête, Prince n'a pas réellement marqué mon imaginaire. J'ai manqué de temps, de vigilance. J'avais un rendez-vous avec lui que je remettais toujours à après-demain. J'ai lu beaucoup sur lui dans les derniers jours et je reconnais qu'il possédait cette personnalité qui m'aurait beaucoup allumé.

Ceci dit: je suis arrivé trop tard pour jouer les endeuillés. Avec Bowie, j'ai pu me le permettre un brin puisque je connaissais bien son oeuvre. Tandis que Prince: il m'a été donné au cours de ma vie d'écouter en lourde rotation trois de ses singles seulement. Imagine, trois singles c'est déjà plus que la plupart des crétins qui se sont contentés de dropper un lien YouTube de Purple Rain. De tous les RIP, je n'ai vu passer Nothing Compares 2 U (reprise et popularisée par Sinéad O'Connor en 1990)  qu'une seule fois. Mine de rien, ça trahit ces choses-là.

Ce n'est pas sans rappeler quand Lou Reed est décédé en 2013 et que tout le monde s'était empressé d'accompagner son RIP de Walk On The Wild Side. Je veux dire: Lou Reed meurt et tu célèbres sa freaking carrière avec le single qui a dû tourner au minimum 30 millions de fois sur les ondes de Cité Rock-Détente? Ah ok, my bad: tu connaissais Perfect Day également. MAIS NON DUDE. Laisse-moi t'aider un peu. Il est ici question de l'ex-leader des — câlisse — Velvet Underground, dont le succès est imputable à rien de moins qu'Andy Warhol. Possiblement le plus influent groupe de tous les temps. Pratiquement tous les bands qui sont passés après leur sont redevables. Mais tu ne savais pas. Mais t'es en deuil quand même. T'es en deuil même si tu savais pas vraiment c'était qui Lou Reed. 

Quand un plus-grand-que-nature nous quitte avant même que j'aie pris le temps de m'enquérir de sa carrière, je préfère opter pour le silence et cruellement payer le prix de mon inculture plutôt que de faire comme si je savais. Comme si j'étais plongé dans le factice deuil moi aussi.

À toutes les nouvelles fois qu'une légende nous est arrachée de la terre, je le prends comme un wake-up call à me faire sortir de mon inertie et j'obéis sans délai à l'inextinguible soif de connaître avant que l'oeuvre d'un autre qui respire encore ne soit plus que posthume. 

Trois mégatubes de Prince, ce n'est pas rigoureux. Pas suffisant pour pleurer la mort. J'ai manqué mon coup. Tant pis pour moi qui ne suis pas qualifié pour me joindre à l'immense fête. Vous non plus, d'ailleurs.

Je préfère privilégier l'honnêteté. Vous devriez essayer. Votre small talk est asphyxiant. 

Je ne pleurerai pas la mort de Prince.

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