Cette période de l’année où les effluves rassurantes du lilas et l’imminence de l’été me rendent nostalgique de ces cours d’Éducation au choix de carrière qui ont spécifiquement marqué ma dernière année au secondaire.
Il n’était pas comme les autres, ce cours. Il avait le pouvoir de rendre excitantes les dernières semaines d’école secondaire à vie, en te guidant dans tes choix pour finalement te congédier vers l’été qui lui allait donner bientôt le coup d’envoi à une vie nouvelle d’étudiant. Ton avenir! Pour d’autres, ceux qui ignoraient encore tout de leur avenir, il avait surtout le pouvoir de fermer les yeux sur le séchage. Même que dans le regard de l’enseignant on pouvait lire : vas-y! Foxe-les, tes cours! Profite du temps clément pour fumer du pot avec tes amis! De toute manière, je ne peux plus rien pour toi!
J’appartenais au deuxième groupe. Aussitôt que les premiers signes du printemps se sont fait connaître, ce cours n’était plus destiné à tous les élèves de l’école publique. Un cours intime désormais réservé aux gosses de riche qui visaient le HEC, aux surdoués qui excellaient en maths, à tous ceux qui ont reçu l’encadrement et les gros yeux des parents tout au long du secondaire. Ceux dont la voie était tracée depuis la naissance.
Pour être honnête, je ne savais plus du tout où m’en aller. Perdu. Rien ne m’interpellait. Je regrettais de n’avoir jamais su outrepasser ma peur du théâtre. C’est ça que je voulais faire. Trop tard. J’étais là dans cette classe qui se vidait de son monde plus les semaines avançaient.
Qui voudrait rester là comme un idiot alors que le prof ne prend ta présence que par simple convention, au cas où un incendie devait se déclarer? Ton existence ne fait plus la moindre différence. Les ailes des camarades ayant passé les dernières années avec toi à la cafétéria sont sur le point de se déployer, et toi, impotent, tu les observes sur leur départ; la voix du prof se promène d’un mur à l’autre comme une balle de ping-pong et son trajet tumultueux ne risque pas même d’effleurer ta tête pour te sortir abruptement de ton état de léthargie. L’indifférence. Sacre ton camp, t’es en train de t’humilier.
C’est par l’entremise de ce cours que plusieurs ont fait le choix de décrocher avant la toute fin. Au mois de mai. Le message est cruel, brutal et plutôt clair. On a failli à ton éducation, désolé, tu peux partir.
Je suis resté jusqu’à la fin par résistance, par manque de lâcheté. Peut-être bien aussi pour occasionner un problème de conscience au professeur qui n’était plus outillé pour accompagner les gens comme moi. Une véritable torture. Je dessinais dans mon agenda.
Ces dernières semaines m’ont permis de mieux me situer par rapport aux autres, par rapport à leurs ambitions. Je me suis toujours su artiste, mais pourtant je ne me reconnaissais pas chez les artistes qui partageaient les mêmes classes que moi. Je les écoutais échanger avec le prof : ils parlaient déjà de subventions, d’argent, de carrière, de talkshows et de reconnaissance. Quel imposteur je faisais, je ne convoitais rien de ça moi. Je voulais juste créer.
Mais c’est ça le truc : juste créer, ça ne rend pas les parents fiers, ça. Il faut connaître du succès. Et le succès, il va faire son tour sur le show de Pénélope pendant la saison estivale. Il est candidat à La Voix. Il se pavane sur les tapis rouges. Il rafle tous les trophées. Il se saoule avec Salvail et fait le front des magazines. À ne pas décevoir l’éminente famille.
Le reste importe peu. Une perte de temps, de talent et d’argent.
L’art sans concession, c’est de l’utopie estudiantine pour la plupart des gens. On s’en moque : c’est mignon un artiste qui refuse un cachet par conviction, awwwww trop cute le jeune homme intègre lolololol! On n’y croit pas. On passe à autre chose très rapidement, malgré les folles promesses qu’on s’était faites au secondaire et au CEGEP.
Les artistes qui arrivent à prendre racine dans l’aridité de l’asphalte hostile à leur épanouissement, il s’en fait très très peu. Ou plutôt, on ne les voit jamais. Normal, ils ne tiennent pas tant à se faire voir.
Souvent, il s’agit d’une passion léguée par un parent qui écrit des bouquins, un avocat, ou qui tient un rôle dans une série télé. Une voie toute tracée à l’avance. Un environnement qui leur est favorable depuis la naissance.
Je regardais le shitload d’humoristes sur la scène des Olivier en support à Mike Ward et je me disais : wow. Ils sont pratiquement tous là. Bien lookés, parfumés. Peu avant, ils s’étaient fait interviewer sur le tapis rouge. Le moment crucial de validation auprès de la famille, des amis. Après tout, sans trophée ni télé, qu’adviendrait-il de ces artistes? Sans le condo et tout le flafla qui viennent ultimement avec le métier, on encouragerait possiblement tous ces gens à se trouver un véritable emploi au plus câlisse.
Vous direz que je suis un puriste, un extrémiste, mais je crois que tous les artistes qui se servent des talkshows, des concours télévisés et des galas pour se faire voir sont les principaux contributeurs de la marginalisation croissante des artistes qui n’en ont pas grand-chose à câlisser de la reconnaissance de la plèbe écrasée devant LCN.
Des lâches qui s’agrippent à la stabilité aussitôt qu’elle leur tend le bras. Voilà ce que vous êtes. Comme si la gloire était la seule manière d’exister pour un artiste, d’être respecté. Des lâches qui au lieu de confronter le ton malotru et inquisiteur de la tante qui exige des résultats plutôt que de te savoir bien dans la vie, tiennent le trophée à bout de bras en guise de : tu vois matante, j’ai réussi, je suis un artiste maintenant! Je gagne beaucoup d’argent!
Des artistes qui renoncent à l’adversité inhérente à l’idée même de faire de l’art et qui croient depuis le début mériter plus que tous les autres le gros crisse de salaire, je trouve ça nauséabond. Surtout à l’ère du numérique et des révolutions. Je trouve ça drôle de voir ces humoristes pleurnicher pour le vieux gag de lesbienne qu’un assureur n’a pas voulu endosser. Qu’est-ce que tu câlisses à la télévision premièrement? Et peux-tu m’expliquer ce que tu fais encore à t’autocongratuler d’être vraiment turbo populaire?
Je t’écoute parler et dans ton discours c’est comme si c’était entendu d’emblée, sans que tu le dises, que pour continuer à être artiste il te fallait ce foutu trophée et ce feu des projecteurs. Autrement tu ne pointerais pas le bout de ton nez là, non? Comme si toi et moi on était d’accord là-dessus, comme une irrévocable évidence. Comme si la gloire était un truc vital à ta survie. Tu fais erreur, mon pauvre.
Comment tout ceci peut-il encore arriver? Confier tes gags aux mains d’un assureur, je veux dire. Nous disposons suffisamment d’outils pour envoyer chier à peu près qui on veut. Explique-moi donc comment tout ceci peut-il encore arriver?
T’as même pas essayé. Pas même tenté d’alternatives.
En vous voyant toute la gang bondir sur la scène, je me suis transporté dans mon cours d’ECC du secondaire. Vous étiez là à parler carrière, argent et gloire avec le prof. Et moi, dans mon coin, j’étais imposteur de ne pas faire de l’art tel que vous l’entendez, à ne pas me reconnaître en vous, le seul art qui puisse rendre la famille fière. Celui qui se pratique dans la gloire et l’argent à tout prix. Mais moi je m’en tabarnack de l’argent. Mais il ne faut pas s’en tabarnacker, dit-on.
Et ça, à mon avis, ça occulte encore plus les artistes qu’une compagnie d’assurance peut le faire. Ça les rend encore plus inutiles, risibles et oisifs aux yeux de la plèbe. Vous y contribuez tous et devriez vous sentir câlissement redevables. Lâches.