— J'admire tellement ton courage!
Je l'entends souvent celle-là dernièrement. La semaine passée, tiens, après avoir publié ma chronique dans laquelle je comais out as gender fluid, par exemple. Courageux. À ce qu'on dit.
Je comprends jamais. Je ne me trouve pas courageux. Ou du moins, pas tant que ça. Mais ça, c'était avant qu'une solide dispute éclate entre ma copine et moi le week-end dernier. Virulente à un niveau où j'ai dû me demander si c'était la fin d'elle et moi. Heureusement non.
N'empêche. Un peu paniqué, je me suis demandé qui pourrait bien vouloir de moi maintenant, qui suis engagé dans une relation amoureuse depuis les neuf dernières années? Ou plutôt : comment on fait avec les femmes, 9 ans plus tard?
Premier réflexe : Tinder. Même si je suis en couple, j'alimente un compte Tinder par simple curiosité. Mais voilà que je me suis rappelé; depuis que j'ai mis à jour mon profil avec des photos récentes de moi maquillé ou arborant du vernis et des bijoux, je n'ai plus jamais matché avec personne. Jamais.
Tinder avait pour coutume, pourtant, de booster mon égo dans les moments de vulnérabilité. Et disons-le, mon visage est plutôt bien en vue depuis les dernières années. Ça aide. Quand je m'y suis inscrit en 2013, ma moyenne était de 20 nouveaux matches par jour. Depuis que j'assume le maquillage, elle est de zéro. Et pourtant, peu avant la mise à jour de mon profil, elle se situait à 5-6.
Oui, 5 ou 6 par jour. Parce que depuis mon adhésion, j'ai pris du poids. C'est fou quand même. Le changement s'opère d'une shot. Sans transition. Dur comme ça. Nouvelles photos avec 10 livres en plus? 5 matches en moins la journée même. Dix livres supplémentaires? Dix autres matches en souffrance. Effectif dès l'upload des nouvelles photos. Tiens mon crisse de gros porc. Cruel comme ça.
Mais vraiment, ce qui achève, c'est le cas du maquillage. Je m'en doutais un peu. Des amies m'avaient prévenu. Même si tout le monde cherche à se la jouer progressiste, c'est pas à toutes les femmes que ça plaît un homme qui accepte de mettre sa virilité de côté.
Et là, sur Tinder : le zéro qui tue. Même son de cloche sur Facebook : mon inbox est VIDE. Zéro. Rien du tout. Quand j'ai commencé à écrire pour NIGHTLIFE.ca en 2011, ma moyenne s'apparentait à celle de Tinder. À peu près 20 inbox de filles par jour. Tantôt pour m'écrire qu'on me trouvait cute; plus tard pour m'inviter à prendre le café. Quand je me suis mis à prendre du poids, cette moyenne était en chute libre. L'hiver dernier cela dit, je recevais encore 3 ou 4 messages par jour. Mais depuis le maquillage, les bijoux et le vernis : silence radio. Curieux, non?
Quand je parle ouvertement de ma prise de poids, on m'admire pour mon courage. Quand j'écris que je souhaite pour le moment accepter le corps que j'ai, plutôt que d'entreprendre les mesures adéquates pour perdre ces livres en trop, on m'admire pour mon courage. Quand j'explique que je carbure à l'insécurité que cette prise de poids m'occasionne afin de mieux pouvoir livrer une bataille contre le fatshaming, on m'admire pour mon courage.
Après tout je me connais bien, quand je suis plus maigre, disons que je finis rapidement par m'en laver les mains du cas du bodyshaming. Les gens sont tellement plus agréables que ma vision de la chose s'embrouille facilement comme à peu près tout me sourit sans que j'aie à fournir le moindre effort. Les belles personnes se méritent entre elles. Voilà pourquoi je préfère pour le moment en rester à ce stade-ci.
Quand je dis que je n'arrive plus à trouver que les gens sont physiquement laids ou pas assez minces pour être jolis, on se moque de moi, bien qu'on reconnaisse mes efforts.
Mais revenons à ce que je disais à propos de ma copine et moi. J'ai eu cette révélation le week-end dernier. J'ai réalisé que je devais en avoir incommensurablement du courage, seulement, pour l'instant, je peux me priver d'aller puiser dans ma réserve. Je suis avec cette fille qui m'aime et m'accepte depuis bientôt une décennie. Voilà pourquoi il est peut-être moins éprouvant pour moi de sortir à l'extérieur et d'affronter les regards le baume à lèvres au visage. Voilà pourquoi il m'est moins urgent de perdre les livres en trop. Parce que je n'ai pas à rencontrer. Je n'ai à plaire à personne d'autre qu'à ma copine.
Mais qu'adviendrait-il de moi si je devais tomber célib demain matin? En admettant que Tinder et ma messagerie Facebook s'avèrent à être les outils les plus efficaces du moment pour les introvertis comme moi? Mettons que je dispose d'un indice assez juste de ce qui devrait se passer. C'est là qu'il me faudrait piger dans ma boîte à courage. Parce que j'en aurai effectivement besoin pour ne pas céder.
On admire mon intégrité, aussi. On me la dit souvent celle-là. Je suis concierge. De nuit. Par choix tout à fait délibéré. Parce que j'aime ça d'abord, mais c'est surtout que ça me permet de dire NON. Souvent. D'envoyer chier, souvent. De ne dépendre de personne. Ça me permet une latitude artistique hors du possible et sans contrainte monétaire. Je te dis, on m'admire pour ça. Vraiment. Mais truth is : ça fait plutôt type qui manque d'envergure, right? En tout cas, c'est ce que je peux entendre ici et là, occasionnellement. Un travail de nuit, en plus. Je dors dans le jour, quelle esti d'épave, han?
Eh bien, cette vie sans une copine aussi conciliante que la mienne me serait pratiquement impensable. C'est vrai, ce que la plupart des gens espèrent de toi, c'est du résultat à très court terme. Et on veut que tu fasses sentir que t'en arraches vraiment beaucoup while making it big. Pas avec un misérable job de concierge, de préférence. Dans le jour.
Quand je confie aux gens que je suis végétarien, on admire mon courage. Mais soyons honnêtes. De tous les gens qui se sont finalement convertis au végétarisme, AUCUN ne m'avait sorti au préalable cette connerie de courage. Ils ne m'ont jamais trouvé courageux puisque dans leurs têtes ils se disaient : moi aussi je ferai ça, j'en suis également capable.
Ceux qui admirent le courage sont également ceux qui ne comptent pas du tout faire un jour le saut. Ceux qui ne comptent pas se conditionner à de choses nouvelles.
Ceux qui admirent mon courage ne trouvent pas sexy que j'assume le maquillage. Ne trouvent pas sexy que j'arbore une confiance inébranlable malgré le surplus de poids. Ne trouvent pas sexy que j'envoie chier les potentiels employeurs du haut de ma liberté.
Parce que les gens ne comptent pas changer. Ils préfèrent s'autovalider dans leur confort. Pas tous les gens. Parce que bien des gens sont derrière moi dans ma démarche. Et je sais très bien que le changement est un truc qui s'opère trèèèès lentement et qu'il ne peut être effectif qu'à partir des prochaines générations. Mais quand même, bien des gens ne changeront jamais.
C'est pourquoi je me dis que si je devais tomber célib demain matin, il serait très affriolant pour moi de céder. De tout faire pour perdre du poids rapidement et fuir encore une fois l'enveloppe corporelle qu'est la mienne, la vraie, celle qui vient avec mon métabolisme de tortue. De mettre de côté les bijoux et le maquillage. De me dégoter un poste plus valorisant aux yeux des gens que concierge. De vivre le jour. D'être plus conciliant avec les employeurs. Accorder quelques concessions ici et là. Laisser tomber ces gens que j'inspire.
Tout ça pour pouvoir rester sain d'esprit.
Alors oui. Je fais preuve de beaucoup de courage. Seulement, je ne le sais pas, comme je n'ai pas à faire tous ces choix. Pour le moment.
Un courage que trop peu de gens osent se permettre.