T’as signé ton bail et t’es à la fois excitée et nerveuse à l’idée d’habiter seule pour la première fois. C’est merveilleux! Je suis vraiment contente pour toi.
C’est une grosse étape de vie, peu importe la situation qu’on quitte. Je t’assure qu’habiter seule, c’est fantastique. Ton nouveau chez toi va devenir ton havre de paix, ta tanière sacrée. Tu vas pouvoir t’approprier ce nouvel espace et l’aménager comme tu le souhaites.
Bien sûr, au début, ça vient avec son lot d’inquiétudes : les dépenses supplémentaires, la peur de la solitude, de glisser dans la douche et se cogner la tête et mourir sur le coup et on découvre notre cadavre 17 jours plus tard et le chat a mangé nos intestins. T’inquiètes. Tout ça finit par se régler après une certaine période d’adaptation.
Cependant, il y a un aspect franchement horrifiant dont personne ne parle jamais quand on aborde le sujet de la vie en solo, et heureusement, je suis là pour t’en avertir.
Je te parle de l’horreur d’avoir à affronter les scutigères.
Certains appellent ça des insectes, moi je les appelle héritières de Satan. Tout, tout, TOUT chez ces bêtes suscite chez moi terreur, panique et dégoût. Leur apparence générale, leurs milliers de pattes, la vitesse irréelle à laquelle elles courent, comme si elles volaient à basse altitude par terre ou sur les murs, leur façon de bouger qui traduit leur intelligence vive et terrifiante de prédatrices.
Parce qu’elles savent. Oh oui, elles savent l’horreur qu’elles inspirent. Elles savent qu’une fois sorties des craques du plancher, elles sont en terrain fair game et qu’elles risquent de finir éffouarées sous une gougoune ou noyées dans une mare de Raid sous les cris hystériques d’une fille en train de maudire sa décision d’habiter seule et d’avoir à gérer ces monstres-démones.
Mon horreur et ma peur-panique de ces suppôts de Belzébuth font que je suis capable de repérer leurs mouvements jusque dans ma vision périphérique. En début de saison et par temps humide, je sais que je dois scanner les murs et le sol de chaque pièce que je pénètre, pour repérer LE mouvement imperceptible. La petite fuite. Aussi rapide, légère que dégoûtante.
L’autre soir, je lisais au lit quand j’ai aperçu (SUR MA COUVERTURE, HUHUHU) un petit spécimen gambader sur ma couette, bien allègrement, dans toute sa laideur. Un cri s’est échappé du plus profond de mon corps. Je crois qu’il venait de mon estomac. Sourd et aigu. J’ai pas réfléchi. J’ai saisi mon mon iPhone et j’ai slappé le monstre avec. Mais même après le meurtre, même après avoir jeté le cadavre aux toilettes, même après avoir nettoyé et désinfecté l’arme du crime, le cri sourd et aigu sortait encore de mes entrailles. Rien à faire. Ces prêtresses d’Astaroth seront la cause de ma mort, pas une chute dans le bain.
Là, je suis consciente que je viens peut-être de te traumatiser, mais tiens bon, le silver lining s’en vient.
Il s’avère malheureusement que ces disgrâces sur 376 pattes sont utiles. Elles chassent et mangent d’autres insectes moins dégueulasses, mais tout aussi incommodants. Elles sont importantes pour l’environnement et elles appartiennent de plein droit à l’ordre naturel des choses.
Ça veut dire que si t’es pas la poltronne finie que je suis, la chose à faire si t’en croises une dans ton nouveau chez toi serait de ne pas la tuer en hurlant comme une hystérique, mais bien de la recueillir dans un pot et la libérer dehors (en hurlant comme une hystérique, parce que t’es quand même en train de mettre en pot un exemplaire de harpie sortie direct du royaume d’Hadès pour venir hanter tes rêves).
Moi en ce moment, je ne n’arrive pas à surmonter ma terreur pour arriver à faire ça. Le compromis que j’ai trouvé, c’est de m’acheter un déshumidificateur pour faire en sorte que ces ignobles bibittes restent sur leur terrain de chasse, c’est à dire entre mes murs et sous mon plancher. Comme ça, j’aurai moins de chance d’en croiser, et elles auront moins de chance de vivre une mort aussi atroce que l’horreur qu’elles m’inspirent.
Alors à toi, courageuse, brave et audacieuse personne qui s’apprête à vivre seule, je te dis : fonce, profite, et amuse-toi.
Je te promets que ta solitude ne sera jamais aussi terrifiante qu’une scutigère.