Je suis un SJW. Un Social Justice Warrior. Du moins, selon l’avis de mes détracteurs. C’est plutôt récent, je dirais. Avant ça, j’étais un émasculé qui commettait l’odieux de croire les femmes quand elles affirmaient être victimes d’agression sexuelle ; des survivantes. Autrement, on me laissait parler de mes angoisses directement reliées à mes prises de poids ou encore m’insurger du droit de regard que semblaient vouloir s’octroyer les gens sur mon physique. J’abordais le racisme dont ma copine haïtienne des 9 dernières années est occasionnellement la proie. All good. Aucun souci. Je m’en tirais plutôt bien.
Mais voilà que dernièrement, un terme plaît bien à mes détracteurs, ou disons, ceux qui se sentent menacés par je ne sais laquelle de mes positions. Social Justice Warrior. SJW. Trois lettres qui permettent de disqualifier avec aisance et sans la moindre obligation d’apporter ne serait-ce qu’un argument ou deux. Trois lettres et c’est réglé.
Même Clint Eastwood en a contre moi. Dans une récente sortie, il s’est rallié à Donald Trump en évoquant avec virulence que nous étions à l’ère de la pussy generation.
Mais mes détracteurs ne sont pas cons ; ils le savent bien qu’en m’affublant de l’étiquette SJW, d’autres, les silencieux comme les actifs, se satisferont de ces quelques lettres pour acquiescer énergiquement. SJW, c’est la classe des cinglés, de ceux qui te veulent du mal, qui se lèvent le matin, déterminés, avec l’idée de te dérober un truc fondamental. Ce sont les insurgés qui s’inventent des bobos, une lutte imaginaire. Qui hurlent pour hurler. Les rebelles sans cause. Qui t’enverraient, sans prob de conscience aucun, en prison dès demain matin, et s’il-vous-plaît, à perpétuité. Coupable ou pas. Sans procès. Les SJW pointent du doigt pour se dédouaner et n’ont jamais rien à se reprocher. Les SJW sont des pleurnichards.
Dans la dernière année, la bannière SJW s’est vue devenir une arme puissante pour tenter d’étouffer ceux qui scandent à l’injustice, ou encore, simplement, ceux qui visent à communiquer comment, de leurs côtés, ils vivent les oppressions.
Remarque, je ne nierai pas l’existence des SJW. Moi aussi ils m’emmerdent, ceux-là. Les authentiques. Les bourgeois privilégiés en mal de causes ne bernent personne. Les privilégiés qui se paient un séjour immersif du côté des pauvres et des opprimés, on les repère assez rapido. Ceux-là qui passent des entières journées sur Facebook à attendre une maladresse dans le détour ; que quelqu’un ne communique pas un message comme eux l’auraient communiqué ou bien qu’une virgule n’ait pas été saisie au bon endroit : freaking LOURDS. Intransigeance. Mauvaise foi. Agressivité. Des enculeurs de mouche. Chacune de leurs interventions hurle : regarde comment moi je fais mieux les choses. Totalement pointless. Égoïste. Font perdre de l’énergie pour rien.
Le SJW se met le nez partout et impose ses idées à grands coups de poing dans le clavier. L'issue de la discussion ne l'intéresse pas vraiment. Dogmatique et cinglant. Ne veut rien entendre. Tandis que l’activiste, lui (ou elle), proposera des idées sur son propre terrain, en toute bonne foi, et se montrera ouvert aux idées divergentes. Prendra le temps de vulgariser. Intégrera ses idées à son quotidien et sa démarche ne s'arrêtera pas à la discussion : il est conséquent. Il agit.
Mais les détracteurs ne font plus la distinction entre un-e activiste, quelqu’un qui étale ses angoisses sur la place publique et un SJW véritable : toute personne qui revendique est pour eux une SJW. Autrement dit, si tu ne réprimes pas de vieilles/récentes blessures et que tu ne les embrasses pas la tête bien haute comme un adulte serait censé le faire, t’es un SJW. Un fragile qu’on aurait élevé dans de la ouate.
Pourtant, c’est mon blogue qui m’a sauvé. Si je n’avais pas partagé avec d’autres gens combien je me sentais seul et marginalisé tandis que j’étais encore jeune homme, je me serais assurément enlevé la vie. C’est la plume des inconnus qui ont rompu le silence qui m’a sauvé. Ces gens ne méritent pas qu’on les affuble d’une étiquette aussi réductrice que SJW.
À peine je me délivre enfin de mes oppresseurs que déjà j’ai les adhérents du discours dominant sur le dos pour me faire taire ; pour tenter de miner ma crédibilité.
Ces gens sont comme des bullies qui rendent ta vie misérable au secondaire jusqu’à te faire changer d’école ; et une fois affranchi de tes intimidateurs, ils t’attendent à la sortie de la nouvelle école. Ils ont eu vent que t’allais mieux. Qu’à ta nouvelle école, on te laissait tranquille. Même que les badass de ta nouvelle école trouvent que tes ex-bullies sont de tabarnack de ratés. Alors, ils récidivent. Te traquent. Refusent de lâcher prise.
Ce qui dérange mes détracteurs, c’est cette volonté que j’ai à devenir une meilleure personne. Ces gens s’imaginent que, parce qu’ils sont eux-mêmes incapables d’apporter de concrets changements à leur vie, tous ceux qui appellent au changement sont forcément inauthentiques. Comme si, vraiment, c’était improbable, irréaliste, d’apporter ces changements à une vie.
Ils ont opté pour le chemin facile : I KNOW, je l’ai déjà fait. La vie est beaucoup plus légère quand on ne résiste pas. Quand on se lave les mains de tout. Je rêve au discours dominant chaque nuit. Pas des blagues. As-tu idée combien mon moral serait au top si je devais, par exemple, me foutre de la gueule des féministes moi aussi ? Je ne serais pas honnête envers moi-même. Mais d’avance je sais que je dormirais mieux la nuit. Ce serait bien plus simple de me convaincre que ce sont des conneries, tout ça.
Also, je pourrais faire comme avant : perdre du poids et me foutre de la gueule des gros maintenant que je serais maigre et sollicité par les jolies filles. Tant pis pour eux, ils ont juste à faire du sport. Je pourrais recommencer à consommer de la viande. La viande est partout. Fermer les yeux sur les inégalités serait tellement moins demandant.
Je préférais x1000 ma vie quand j’étais du côté des dominants. Personne n’est sur ton cas quand tu fais tout ce qui est attendu de toi. Je te dis : j’en rêve. J’y pense et je frissonne. Ça ne me déplaisait pas du tout de me noyer dans l’unanimité.
Mais tout était fake. Un sempiternel mensonge.
Quand je regarde aller mes détracteurs, je comprends le chemin qu’ils empruntent dans leur tête avant de débarquer sous mes publications pour relâcher les trois lettres de la honte ; SJW. Je sais bien que je les ramène à leurs propres mensonges. Qu’ils se savent si impotents qu’ils exigent de ceux qui se lèvent qu’ils se rassoient. Que pour conserver une sanité d’esprit, ils ne peuvent quitter cet endroit accommodant qu’est le discours dominant. Qu’ils n’ont ni la force ni le courage de résister. D’être honnêtes.
C’est pour ça qu’ils en ont contre moi. Qu’ils en ont contre les Judith Lussier. Notre résistance les fait sentir si lâches. Si malhonnêtes. Si petits. Si vieux.
Vas-y. Appelle-moi Social Justice Warrior.