Si t'as jamais entendu parler de Noémie Dufresne, je me demande si j'ai vraiment envie de te l'introduire puisqu'elle compte déjà sur sa page Facebook quelque 1 200 000 abonnés. C'est quand même pas comme si j'essayais de te vendre un band indie qui peine à franchir le cap des 1000 views sur Youtube.
Noémie lance un bouquin au courant de la semaine. À l'intérieur, elle y traite, notamment, de popularité et de cyber-intimidation dont elle est la proie depuis quelques années.
Son succès est particulier : il carbure au slutshaming ; à la jalousie des gens. Beaucoup de gens.
Sous chacune de ses publications, des centaines de personnes se disputent entre elles quant à savoir si Noémie est une pute ou pas, l'incitent à se suicider, précisent « qu'elle n'est même pas belle », suggèrent qu'elle devrait prendre du poids un peu, la taxent d'insignifiance et lui ordonnent de leur faire une fellation, « son unique talent », toujours selon ses détracteurs et les gluants misogynes qui flairent une belle opportunité de « hatefuck » la « jeune salope abjecte et facile que personne n'aime » — quand il n'est pas carrément question de la violer.
Mais qu'a fait Noémie pour s'attirer la foudre de milliers d'internautes comme ça? Réponse : rien du tout. Outre peut-être a-t-elle commis l'odieux de naître femme. C'est qu'il y a plusieurs années de ça, une rumeur circulait à son encontre. Une histoire de cul. Comme ça qu'elle s'est faite connaître. Depuis, elle a l'intégralité des 18-30 ans sur le dos.
Et pourquoi ça? Parce que Noémie a fait à sa tête. Il n'était pas question pour elle de céder aux (nombreux) slutshamers. Marcher la tête basse et l'échine courbée pendant un moment lui aurait sans doute permis un parcours largement moins tumultueux. C'est ce que convoitent ces gens : faire plier, désarmer, rendre doux et malléable.
Au lieu de ça, elle a joué le jeu. D'abord, elle s'est contentée d'ignorer les langues sales et, par la suite, s'est mise à publier des vidéos la montrant twerker et, de façon plus régulière, des photos d'elle en tenue légère. Chaque publication lui attirait une foudre encore plus véhémente que la précédente.
Pourtant, des femmes qui twerkent et posent en bikini sur Instagram, il y a en a une tonne et on ne s'acharne pas forcément sur elles comme on s'acharne sur Noémie. Mais Noémie, c'est différent : elle ne s'est jamais excusée d'avoir été au coeur d'une rumeur à caractère sexuelle ne regardant personne d'autre qu'elle-même. C'est ce qui la distingue des autres filles sexy d'Instagram. C'est ce qui lui occasionne cette réputation de « putain ».
Parce qu'on a entendu entre les branches qu'elle aurait eu une relation sexuelle avec un homme et n'a même pas senti qu'elle avait des comptes à rendre à des inconnus qui sont encore aujourd'hui persuadés de l'inverse. Parce que, à l'instar de Jérémy Gabriel, elle a refusé de s'évaporer dans la honte et l'humiliation.
Mieux, elle s'est jouée de ces crétins. Leur a offert un doigt d'honneur. Jamais il n'a été question de se crisser à plat ventre et ça, c'est suffisant pour mettre hors d'eux les slutshamers.
Ses détracteurs donnent eux-mêmes le ton à ses sessions de shooting photo. Ses clichés les plus frais, aussi artistiquement léchés et professionnels soient-ils, traînent avec eux le relent d'une vieille rumeur périmée et virulente. Les barbares refusent de lâcher prise. Au lieu de lire les photos de manière honnête, c'est-à-dire, mettant en scène une jeune femme avec beaucoup d'ambition qui donne également dans le mannequinat ; on préfère marquer au crayon noir dans son visage « Crisse de pute ! Esti de vidange sale ! Rhabille-toi ma tabarnack de salope ! ».
C'est violent. De mauvaise foi. Réducteur. Et misogyne.
Noémie est comme tous les autres hommes et femmes sexy d'Instagram qui carburent aux likes. Elle n'a rien à se reprocher. Et tout le monde veut la voir tomber. Plus elle résiste, plus on se convainc qu'elle est la femme à abattre. On dirait que c'est difficile de passer à autre chose, de laisser aller. Reconnaître qu'on s'est peut-être trompé. Que Noémie peut bien faire ce qu'elle veut de son corps et qu'une rumeur la concernant ne regarde personne d'autre que sa propre personne.
Les gens, impuissants, sont en COLÈRE que sa tribune ait pu gagner considérablement et rapidement en ampleur sans même avoir pu donner leur approbation. Pire, ils ont tout fait pour éviter qu'elle connaisse du succès — ils en ont malgré eux été la principale cause. Pour qu'elle se retire. Mais rien n'a fait. Elle a le gros bout du bâton et ça enrage.
Quand on décide qu'une fille est une pute, elle est une pute et elle doit s'y conformer. Et s'excuser. C'est comme ça. Right? Nope. C'est pourtant bien souvent ainsi que ça fonctionne. Et ça fait l'affaire des hommes qui souffrent d'insécurité de savoir qu'une femme qui aime beaucoup le sexe ou qui n'est pas exclusive à un seul homme n'est plus une menace à leur virilité.
Un truc qui étonne aussi, en survolant ses publications, c'est de constater combien les femmes s'adonnent autant — peut-être même plus — que les hommes au slutshaming, avec beaucoup de violence. Comme si elles avaient renoncé à leur liberté sexuelle et cherchaient dorénavant sans cesse à se consoler en tombant sur « pire » qu'elles. Comme si vraiment il y avait une façon meilleure qu'une autre d'être une femme. Une femme adéquate. Pas trop mangeuse d'hommes. Pas trop « m'as-tu-vue ? ». Pas trop agace. Une femme convenable. Qui ne froisse pas trop l'égo des hommes sensibles. Qui veillera à ne pas porter des vêtements qui pourraient titiller les pénis indisciplinés.
« UNE FEMME QUI SE RESPECTE »
« Vous voyez les gars ? Ça c'est une pute. Pas moi. Moi je suis pas une agace qui passe son temps à montrer son cul. »
Mais ravisez-vous, Noémie vous tient tous et toutes par les couilles. Vous comprendrez peut-être un bon matin que, oui, des milliers de gens qui semblent convaincus de faire la bonne affaire peuvent, aussi surprenant que ça puisse vous paraître, se tromper.