Profitons du malaise qu'a suscité Safia Nolin au dernier gala de l'ADISQ pour crisser le plus aveuglant des spotlights sur l'éléphant qui occupe la plus étroite des pièces depuis un moment. L'éléphant qui, chaque année, gagne en masse corporelle, mais que tout le monde pourtant s'obstine à esquiver de son regard torve et indolent.
Marc Dupré. Pas Marc Dupré spécifiquement, c'est pas personnel, mais ce qu'il représente. Ce que les « comme lui » représentent. Multidisciplinaire, talentueux certes, Marc Dupré est un artiste, oui, décidément plus que mon oncle qui est fonctionnaire en tout cas, mais Marc Dupré, avant toutes choses, est un carriériste.
Attention, c'est pas moi qui décide de ces affaires-là. Je reconnaîtrai le statut d'artiste à quiconque le réclamant. Disons plutôt que pas tout le monde n'est un Robert Morin, tiens. Pas tout le monde ne s'en crisse et fait à sa câlisse de tête. Pas tout le monde n'est capable de se contenter d'un public, aussi restreint soit-il, qui marque un intérêt sincère pour l'univers de la personne qui tient le pinceau.
Marc Dupré veut Tout. Safia Nolin veut Être. Voilà ce qui les distingue.
Quand on veut tout, on ne redonne pas grand chose. Ah mais oui, on peut faire du bien. Je n'en doute pas. Mais on n'invoque pas cette flamme intrinsèque enfouie dans le profond des gens, on ne fournit pas le gaz et les allumettes comme on devrait le faire. On n'a que la gloire en tête et peu le souci de transmettre l'urgence d'Être.
Ce qu'on fournit, c'est le template. Les directives. Le manuel. Voici de quoi devrait avoir l'air un artiste, UN VRAI ARTISTE, et ceux qui dérogeront seront affublés de la bannière d'extra-terrestre, de malotru et de chienne à Jacques.
On a poussé si loin la note que l'étiquette « artiste » est désormais sans cesse confondue dans la tête de nos parents avec celle de « figure publique ». Pierre Bruneau est un artiste. Guy Mongrain également. Colette Provencher also. Nos artistes, nos vedettes. Nos. Les nôtres. Nous appartiennent. Sont artistes puisque nous avons collectivement décidé que oui. La télé rend artiste par défaut, que tu sois artiste ou pas.
Mais qui est fucking Marc Dupré? Il chante, bin oui. Mais encore? Il chante et c'est tout? Marc Dupré l'artiste, il est où? Marc Dupré, l'homme sans concession, celui qui crie FUCK TOUTE et ne longe pas les crisse de murs d'un coup qu'il pourrait froisser l'égo des mononcles et des matantes? Où?
La vérité c'est que Marc Dupré s'excuse d'Être, tous les putain de soirs où il accepte de pointer son esti de nez à la télé, dans les magazines. Il est porteur de ce message : ne soyez pas qui vous croyez être! Excusez-vous avant même d'Exister. Octroyez-vous une claque sur les doigts si l'idée de vous présenter comme vous Êtes a effleuré votre esprit bien tordu. N'osez pas. N'osez surtout pas. Ne courez pas le risque de déplaire, c'est de la tabarnack de folie. Vous perdrez gros et vous ne voulez pas perdre gros. Vous voulez tout gagner ; rejoindre tout le monde. C'est l'unique manière d'écrire une page dans l'Histoire, d'avoir sa statue chez Grévin.
Le grand public de Marc, les détracteurs de Safia, ont cessé d'Exister depuis un long moment. Depuis si longtemps qu'on ne se donne même plus la peine de remarquer que leurs vêtements sont restés coincés dans le temps. Ça va de soi qu'ils sont laids et beiges leurs vêtements, mais on s'est accoutumés de leurs laideurs. On ne prend même plus le soin de les envoyer chier ces crétins, tellement ils n'Existent plus. Ils sont là, commentent, pleurnichent, exigent et hurlent. En toile de fond. On ne les remarque même plus tant ils n'Existent pas.
On s'est fait à l'idée qu'ils flottent dans l'air. Bin oui, c'est comme ça, ils sont là, on les laisse faire. Ils sont tristes. Pathétiques. On les appelle mononcles et matantes. La plèbe. On sourit. On screenshote leurs commentaires qui circuleront massivement.
Quand on a cessé d'Exister, on peut avoir la fausse impression d'être immunisé contre les reproches et les railleries. Un sentiment de se situer du bon côté de la Force puisque plus personne ne nous attend dans le détour pour nous faire remarquer combien Safia Nolin est belle, sincère et qu'elle look incroyablement awesome et qu'il est évident qu'on ne peut arriver à le déceler si on espère revivre sempiternellement les années 70s. Personne pour nous rappeler l'époque en cours. Personne pour nous signaler qu'on a des goûts de marde. Personne pour nous invectiver en retour, pour nous renvoyer énergiquement la balle.
Alors on n'arrête jamais de s'en donner à coeur joie sur ceux qui osent sortir du lot, qui osent Être. Impunément.
Impunément parce que Marc Dupré.
Parce que Marc Dupré, il n'invite pas les gens à devenir des Artistes, il n'invite pas à Être. Il ne se le permet même pas lui-même. Il paie le prix à payer pour connaître gloire et fortune. Il se tait, assume et avale sans mot dire. Parce que ça l'arrange. Il transmet sa passion du calcul et du marketing à de jeunes et moins jeunes gens qui ne demandaient qu'à Être. Chanter suffit, Être peut attendre.
En étant le carriériste qu'il est, il décourage d'avance les gens qui pourraient avoir une inclination pour l'authenticité et marginalise les Safia Nolin, les envoie dans la gueule du loup. Un loup qui lui permet d'accumuler les $$$. Un loup assoiffé de sang à qui on ne voudrait surtout pas déplaire. À qui on ne dit jamais : NON. FERME TA GUEULE, LE LOUP. JE N'AI AUCUN COMPTE À TE RENDRE NI PERSONNE D'AILLEURS.
Parce que Marc, il aime ça rendre des comptes au loup. C'est comme ça qu'il gagne sa vie. Mais pas Safia. Ni Koriass. Ni Kaytranada. Ni les autres.
Et Marc, il va bientôt frapper un sacré mur. Parce que s'excuser d'Être n'est plus envisageable pour les Milléniaux.
Fuck you, public de marde. Fuck you, Marc Dupré.
Longue crisse de vie à la reine Safia.