Dans l’excellent docu-fiction Le ciel attendra, la réalisatrice française Marie-Castille Mention-Schaar (Les Héritiers) s’intéresse aux troublants et fort inquiétants cas d’endoctrinements de jeunes Françaises (et Français) par des groupes «jihadistes». Elle raconte comment de jeunes Occidentaux finissent par quitter leur nid familial, leur confort et l’amour de leur parents pour s’envoler vers la Syrie ou la Turquie en laissant tout derrière. Castille-Mention-Schaar relate aussi le choc des parents qui découvrent trop tard la tragique vérité et toute la peine, l’incompréhension et l’impuissance qui les habitent. Comment est-ce possible ? Comment mon enfant a-t-il pu en arriver là ? Comment n’ai-je pu rien voir? Ce sont les dures questions auxquelles ce film tente humblement (et brillamment!) de répondre, mais aussi et surtout, il présente des cas types permettant au spectateur de réfléchir aux facteurs entourant un tel embrigadement, plutôt que de le condamner. Ces jeunes gens sont souvent des victimes, bien plus que des criminels.
Dans un film au rythme soutenu et nous tenant sous haute tension, on rencontre en alternance les destins inter-reliés de Sonia (fantastique Noémie Merlant) 17 ans et de Mélanie 16 ans (authentique Naomi Amarger), deux jeunes femmes en plein cœur de l’adolescence qui finiront par s’entremêler dans les filets de l’embrigadement de l’islam radical. La première est passée très près de commettre le pire (des attentats terroristes) «afin d’assurer à sa famille une place au paradis», tandis que l’autre traverse une phase de questionnement et de prise de conscience qui la mènera, à son insu, vers un processus de radicalisation. L’avant et l’après, donc.
Au travers de ces récits tragiques, s’ajoutent les présences des parents (principalement des mères, superbement jouées respectivement par Sandrine Bonnaire et Clotilde Courau), qui abasourdis et désemparés devant le destin de leur enfant doivent, eux aussi, livrer bataille contre eux-mêmes et pour leur enfant. La réalisatrice propose un regard éclairant sur le sournois et insidieux processus d’endoctrinement de ces adolescents (principalement sur les médias sociaux et par le biais de vidéos propagandistes), qui en pleine prise de conscience de l’injustice et de la dureté du monde, mènent leur quête personnelle et souvent très solitaire, et deviennent des cibles plus vulnérables et influençables. Les groupes radicaux s’approprient le sort malheureux du monde et profitent de la révolte de ces jeunes et de leur besoin d’amour et d'idéaux pour les embrigader au nom d’une meilleure justice et d’un monde meilleur.
L’apport de Dounia Bouzar
Pour documenter son travail (et on le ressent dans la qualité du propos du film), la réalisatrice a fait appel à la Docteure en anthropologie Dounia Bouzar qui s’intéresse aux enjeux de radicalisation dans l’islam depuis longtemps et qui a écrit de nombreux ouvrages sur le sujet. Son essai publié en 2014 « Ils cherchent le paradis ils ont trouvé l’enfer » (octobre 2014), racontant «la descente aux enfers de parents orphelins, qui s’unissent pour ramener de Syrie leurs enfants endoctrinés par des groupes « jihadistes »», a d’ailleurs inspiré le film. À titre préparatif, Marie-Castille Mention-Schaar a demandé à Dounia Bouzar d’être présente à plusieurs séances de discussions avec des jeunes femmes radicalisées et leurs familles au «Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam», également fondé par Dounia Bouzar. Des échanges qui ont donné lieux à plusieurs scènes phares du film et dans lesquelles Dounia Bouzar y joue son propre rôle, interagissant avec les jeunes et leurs familles.
Des questions de grande actualité
Un film «cruellement» d’à-propos sur un enjeu des plus complexes et des plus sérieux, qui nous fait réfléchir à la fragilité des êtres humains et à leurs besoins d’amour, d’affiliation et de reconnaissance. Ce qu’il nous apprend aussi, c’est qu’il faut chercher à comprendre l’origine et l’explication des faits et de ces actions et encourager la communication des jeunes, avant de dresser des amalgames entre les éléments. Personne n’est à l’abri de rien, et avant de condamner, de tirer des conclusions hâtives et de juger, tentons plutôt de comprendre, de soutenir et de dialoguer.