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Critique de NORGE : une pièce poétique et philosophique vraiment spéciale
Crédit: Stéphane Bourgeois
Imagine des draps blancs, un grand écran enneigé, un homme sympathique et un piano. Toi aussi tu trouves ça un peu weird ? L'espace est en effet assez bizarre et paradoxal, sobre et intense à la fois. C’est toujours délicat de prendre du recul face à une telle prestation. L’exercice n’est pas évident, il est si intime et si quotidien, que l’on peut éprouver des difficultés à analyser un ressenti. Le problème de l’identité culturelle touche intimement la plupart de nos âmes. La puissance des racines est si vibrante que notre attachement à celles-ci, très souvent, nous définit. NORGE, pièce d’autofiction, écrite et jouée par Kevin McCoy, fait écho à chacun d’entre nous et à nos espoirs souvent vains d’enfin trouver qui nous sommes vraiment. Comme si nos ancêtres et, avec eux, leurs terres, pouvaient donner un sens à notre Moi.

Je suis donc sortie de cette pièce singulière, quelque peu mitigée. J’avais comme besoin de la digérer pour mieux la comprendre. C’est une histoire, qui nous est contée au coin du feu. L’histoire d’un homme, comme un autre, espérant renaître un peu plus. La banalité de ce récit peut aussi bien nous subjuguer que nous rebuter.  

Crédit: Stéphane Bourgeois
La mise en scène offre un regard bienveillant, mais anachronique sur l’immigration : tout le monde n’a, de fait, pas la chance de changer de pays simplement par amour. Le décor est simple et nous amène très rapidement au cœur d’une Norvège méconnue, reflet d’un paysage fantasmé et puissant : la réponse à nos questions identitaires est ici loin d’être évidente.

L’auteur, comédien et metteur en scène, nous invite à parcourir, pendant près d’une heure trente, son nouveau monde. Celui où les frontières sont transcendées par le chemin vers une Altérité qui, finalement, nous définit. Il questionne, dans sa représentation d’une intime universalité, les bienfaits de la connaissance ultime de soi à travers deux éléments fondamentaux à l’introspection : d’une part, le chemin vers notre « soi » profond (la Norvège originelle); d’autre part, le chemin vers l’échange multiculturel comme détermination de l’être (le Québec découvert).

Le propos est assez ambivalent puisqu’il traite, sur un même plan, deux dimensions à la fois complémentaires et paradoxales. Le besoin de se retrouver et de s’enraciner quelque part entre alors en résonnance avec la volonté de voyager vers l’Autre pour mieux se comprendre soi-même.
A travers le monologue de Kevin McCoy, nous découvrons, de manière absolument inédite, le pays de sa grand-mère, partie de Norvège à l’âge de 14 ans. La pianiste, Esther Charron, devient l’âme de cette œuvre. Plus encore, le piano lui-même est un personnage, et il nous aide à mieux supporter cette histoire familiale qui, parfois, ne nous intéresse plus. À quelques moments (rares, heureusement), le récit m’a perdue, tombant, dans une simplicité extrême qui manquait cruellement de subtilité (Oslo, la bombe, Le Cri, tout ça.)

Crédit: Stéphane Bourgeois
Pourtant, la richesse artistique de l’œuvre, nourrie par l’interdisciplinarité de l’auteur, nous transporte sans aucun mal dans une culture subjuguante. Musique, peinture, arts visuels ponctuent la trame narrative. C’est assez chronologique, sans jamais être trop linéaire. Le récit parvient à nous surprendre et nous évite donc de tomber dans l’ennui. La scène est envahie de personnages secondaires qui prennent, peu à peu, logiquement, toute la place. La Norvège vient à nous par un jeu de lumière subtil, nous plongeant dans l’obscurité éphémère de ces splendides terres du nord. Le but est ainsi de nous captiver, de nous interroger, de nous surprendre avec des interactions mystérieuses, presque mystiques. La neige, le froid, le vent, les aurores boréales, la mer… autant d’éléments qui s’entremêlent pour créer un fil rouge naturel.

Cette représentation de la quête de soi déjoue le piège identitaire le plus troublant : Kevin McCoy tente en effet de saisir son identité en liant son ancrage culturel à la réalité sociale qui, elle, restera toujours insaisissable.

Si je n’ai pas trouvé mon Moi profond lors de cette expérience théâtrale, une certitude s’est néanmoins dessinée : le questionnement identitaire nous habite profondément et domine aujourd’hui, peut-être plus que jamais, le champ culturel de nos actions. Une pièce comme celle-ci, à la fois modeste, exigeante et originale, nous rappelle à quel point il est important d’enrichir son être intime pour comprendre son Ici afin de faire face à son Ailleurs. Et vice-versa. Le passé ne nous détermine pas. Il nous permet au contraire d’exister en tant qu’être complexe, agissant, socialement et culturellement, sur notre présent. Il est ce que nous sommes, certes, mais en partie seulement. Le reste nous appartient.

Norge est présenté à l'Espace GO jusqu'au 10 décembre. 

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