NIGHTLIFE.CA a eu le privilège d’assister à la représentation de la pièce «La bonne âme du Tsé-Chouan» de Bertolt Brecht mise en scène par Lorraine Pintal à partir d’une adaptation de Normand Canac-Marquis, sous la direction musicale de Philippe Brault, au Théâtre du Nouveau-Monde.
Cette pièce de Brecht a été écrite en 1938 en pleine montée du nazisme et créée en 1943, dans un cabaret de Zurich.
Véritable fable musicale campée dans une Chine inventée, elle raconte l'histoire d'un dieu qui descend sur la terre à la recherche d’une bonne âme. Seule une prostituée, Shen Té, l’hébergera et celui-ci, pour la remercier, lui offrira de l’argent qui lui permettra de s’acheter une petite boutique. Devenue marchande de tabac, et trop généreuse, elle se fera manipuler par les habitants du Se-Tchouan, deviendra amoureuse d’un aviateur qui l’enjôlera et inventera un cousin imaginaire Shui Ta afin de se défendre des hypocrites et des corrupteurs.
Bertolt Brecht pose cette question cruciale: «Est-ce que le monde actuel peut continuer à exister sans qu’il n'y ait une seule bonne âme pour le sauver?» Question qui ne peut nous laisser indifférents en ce début d’année 2017, face aux réalités politiques et internationales que nous connaissons.
Dans sa mise en scène et étant fidèle au dramaturge qu’elle honore, Lorraine Pintal
abolit le quatrième mur qui permet à l’acteur de s’adresser directement aux spectateurs les amenant ainsi à réagir et à exprimer leur vision critique du monde, leur réflexion.
La pièce dure 2h10 sans entracte. Nous sommes invités dans un cabaret de l’Allemagne post seconde guerre mondiale où un mur devient un lieu de projection vidéo qui représente la Chine en images et où les acteurs-chanteurs exagérément maquillés et vêtus d’habits aux tons dominants du rouge , du pourpre et du vermillon créés par Marc Senécal défilent devant nous, nous entraînant dans un récit épique exposant les mesquineries et les turpitudes du genre humain. Ces déguisements font éclater le rire et le grotesque nous amenant à réfléchir sur notre propre âme et à notre implication dans le monde d’aujourd’hui.
La musique « live » interprétée par Philippe Brault, Guido Del Fabbro, Josianne Hébert et Benoît Rocheleau ainsi que les chansons engagées et les chorégraphies de Jocelyne Montpetit percutent l’action, aiguisent, accentuent la montée dramatique, explosive et nous maintiennent en état de choc. Déstabilisés, inconfortables et hors de notre zone de confort, la partition musicale nous confronte: que répondrons-nous à l’ultime question comment être bon dans un monde corrompu ?
À souligner magistralement, la performance de Isabelle Blais incarnant le double rôle de Shen Té et de Shui Ta qui nous séduit par son professionnalisme et son art de passer d’un personnage à l’autre.
Que ce soit Marie Tifo en veuve Shin éclairante, Jean Marchand en dieu impressionnant, Benoît Landry en Wang, porteur d’eau émouvant , Emile Proux-Cloutier en Yang Sun, aviateur profiteur , France Castel en Madame Yang ensorcelante, Louise Forestier en vieille Dang attachante, Bruno Marcil en Barbier Shu fu délirant et bien d’autres, cette palette chevronnée de comédiens et de chanteurs nous mettent face à nous-mêmes, nous interpellent , exigent «le meilleur de nous», nous forçant à rétorquer, à prendre position , à agir devant l’énormité de la corruption du monde.
Serions-nous «la bonne âme de …?» Nous ne pouvons nous défiler.
La tombée du rideau, telle une épée de Damoclès, est un cri du cœur lancé par Shen Té auquel l’on ne peut rester insensible.
«La bonne âme de Se-Tchouan», un spectacle dérangeant, une production fidèle à l’esprit critique de Bertolt Brecht qui dénonçait toute forme de corruption proposant, à son encontre, un délire festif comme solution.
À voir absolument en ces temps troublés et troublants !
LA BONNE ÂME DU SE-TCHOUAN
Théâtre du Nouveau Monde
du 17 janvier au 11 février 2017
supplémentaires le dimanche 12 février et le mercredi 15 février