*Update: ce texte a été modifié après qu’on m’aie fait réaliser qu’un homme ne pouvait pas être victime de mansplaining. J’ai manqué de vigilance. Notez que, pour des raisons qui échappent à mon contrôle et à celui de NIGHTLIFE.ca, le titre ne peut être modifié.*
La première fois qu'on m'a parlé de mansplaining, j'ai immédiatement compris de quoi il s'agissait. Sans résistance. Sans poser de question. I knew. Non seulement je savais; j'étais soulagé qu'on trouve enfin un nom à un mal que j'arrivais encore mal à m'expliquer moi-même.
J'ai les yeux bleus. Babyface. Je ne suis pas grand. Ma voix est à des années-lumière de celle de l'homme mûr. Pas un secret pour personne ici. J'en parle régulièrement. J'ai mis du temps à le réaliser. C'est difficile de se dire que ces caractéristiques réunies sur un même corps font en sorte qu'on accorde moins de sérieux, moins de crédibilité à celui qui en est le porteur. D'emblée. Qu'elles envoient aux hommes le signal qu'ils peuvent confortablement adopter le ton paternaliste sans la crainte d'être remis à leurs places. Parce que, de toute manière, la personne qui se trouve devant eux est forcément clueless, sotte.
Avant de continuer, permets-moi une précision. Ce texte n'a pas pour but de tout ramener à moi-même et encore moins de faire de l'ombre à celles qui composent quotidiennement avec le mansplaining parce qu'elles ont eu le malheur de naître femmes. L'idée est d'exposer comment et pourquoi je n'ai jamais froncé des sourcils quand j'ai entendu pour la première fois ce néologisme qu'est « mansplaining » ou « mecspliquer ».
Les femmes ne mentent pas. Le mansplaining est bel et bien réel. Je ne crois pas pouvoir vivre de mansplaining vu que je suis un homme, mais je pense au moins être en mesure de m’en faire une petite idée. Ou en tout cas, le mépris que je reçois de la part d’hommes aux traits typiquement mâles m’a permis d’être plus réceptif quant aux comportements de mansplainers rapportés par les femmes.
Curieusement, on ne me méprise plus autant maintenant que j'ai gagné une trentaine de livres et que je cultive une barbe sur mon visage. C'est pas des farces; les hommes ne ratent jamais une occasion de jouer les babouins aussitôt qu'il leur est possible de déceler une toute petite trace de vulnérabilité et qu'importe la forme sous laquelle elle se présente.
Avant de découvrir que j'étais peut-être moins con qu'on cherchait à me le faire croire, j'étais persuadé d'être le plus idiot des idiots. J'allais à la rencontre de mon reflet dans le miroir qu'en cas de grande nécessité. Je ne pouvais pas flairer cet épais aux yeux bleus qui apparaissait dans cet engin qui génère un portrait violent et personnalisé de l'ignominie ambulante.
Rien de ce que je disais n'était considéré avec sérieux. Rien du tout. J'ai fini par me taire. J'ai observé, comparé, investigué. Je me suis enquis. J'étais le plus con des cons, même quand j'étais le mieux qualifié. C'était pas comme ça qu'on traitait les autres hommes, pourtant. Mais les femmes, oui. Les femmes avaient ça en commun avec moi : elles étaient connes, no matter what. Les plus brillantes comme les érudites : des connes.
Même avec la crédibilité acquise sur Internet : on ne me laissait pas la chance d'ouvrir la bouche que, déjà, j'étais étiqueté. On m'interrompait, parlait par-dessus moi, roulait les yeux vers le ciel. On m'expliquait ce que je savais déjà et mieux que tout le monde dans la pièce. On poursuivait comme si je n'avais jamais rien dit. Il m'a fallu convaincre plus fort que ceux dont la voix est grave, ceux dont le corps est costaud et grand. J'ai hurlé plus d'une fois dans ma tête.
Mais le pire c'est que tu deviens vraiment le con qu'on espère. Tu ne sais jamais si l'oreille qu'on s'apprête à te prêter est une oreille neutre et dénuée de jugements. Alors tu te mets à cafouiller, à t'enfarger dans tes mots. Tu perds le fil de ta pensée. Tu t'écoutes parler. T'enchaînes les trous de mémoire. Tu ne focus sur rien d'autre que la crédibilité qu'on t'accorde ou non. Ton discours est tellement désordonné qu'on se dit : ah, voilà, je savais! Qu'est-ce qu'il est con, ce con!
C'est pour ça que je me suis mis à l'écriture et à la vidéo. Pour atteindre les oreilles neutres qui n'ont plus le choix de me laisser aller au bout de mes idées et dans un environnement où tout le monde est, à armes égales, vulnérable.
Maintenant qu'on sait de quoi je suis capable et qu'on a pris connaissance de la solidité de mon caractère, ça m'arrive moins souvent. C'est quand je me frappe à des inconnus qui n'ont jamais entendu parler de moi que je réalise que tout sera à recommencer, chaque fois.
Certains hommes (de mon âge, même), costauds et aux traits sévères, vont emprunter un ton infantilisant et traiter avec moi comme si j'étais un adolescent. Je dois, le plus tôt possible, les remettre à leurs places et leur faire comprendre que cette dynamique ne fonctionnera crissement pas avec moi.
C'est comme si je menais une double vie. Il y a celle où j'ai obtenu l'estime des lecteurs/lectrices, des fans et des pairs. Et l'autre, où on m'étiquette comme incapable et nono parce que : pas très grand, yeux bleus, babyface et voix atypique.
J'ai dû apprendre à moins sourire, aussi. C'est un réflexe chez moi, je souris par politesse, pour que les gens se sentent bien. Pour évacuer dès le départ tout potentiel d'hostilité. Comme les gens qui sifflent à l'épicerie, quoi. Terrible erreur. Un appât à douche.
Mais je ne suis pas une femme. Il m'est toujours possible, avec un peu d'effort et d'agressivité, de gagner l'estime des autres hommes. Peut-être même que je mansplain moi-même à l’occasion sans m’en rendre compte. Parce que, vulnérable ou non, je demeure homme. Je devrai toujours me battre pour obtenir le respect, mais certainement moins que les femmes.