Ma chronique de la semaine dernière a suscité plusieurs discussions. J'ai récolté des dizaines de témoignages de militants en inbox également. Pas tout le monde n'a osé liker ou commenter ouvertement, par peur de représailles, justement. D'autres ont plutôt jugé bon de m'attaquer personnellement plutôt que de s'en tenir aux idées, idées pourtant partagées par plusieurs de leurs camarades militants. Comme si cette chronique ne concernait que ma propre personne.
Mais bon, l'auto-critique c'est pour les autres, han?
Ceci étant dit. On m'a reproché de ne pas avoir apporté d'exemples concrets dans mon dernier texte. Vrai. C'en était un très chargé, pas du tout parfait et que j'ai dû rédiger avec beaucoup de minutie. Je me dis que je vous dois au moins un peu de précision. Faisons ça.
Sévir dans un esprit de règlement de compte
Il y a cette fille qui tape sur les nerfs de quelques militants. Ça commence à se savoir. On ne s'en cache plus pour l'haïr ouvertement. Même qu'il serait préférable d'être gossé par cette fille, si on ne veut déplaire à personne. Pour le moment, c'est irrationnel, puéril. Elle n'a pas grand chose à se reprocher. Un bouc émissaire. Une tête de Turc.
Mais tu le sais comme moi. C'est écrit dans le ciel. Ça ne devrait pas tarder. D'ici la fin de l'été, ils auront trouvé. Ils finissent toujours par trouver. C'est curieux, non? Mais non c'est pas curieux. Parce que tout le monde a un truc à se reprocher. Tout le monde, à un moment ou un autre, adopte un comportement problématique. Facile comme ça. Suffit de gratter un peu quand on n'aime vraiment pas quelqu'un, et ça y'est. Reste plus qu'à la regarder tomber en se frottant les mains.
Cette fille, son erreur, c'est d'avoir publié une photo sous le hashtag #bodypositive alors qu'elle est mince. Yes! Enfin. D'avance, on connaît sa réaction si on devait lui sauter à la gorge en gang. Elle résisterait. Personne ne réagit bien à ça. Alors faisons ça. Allons la gang up, maintenant que nous avons finalement une bonne raison de le faire. Et minons enfin sa réputation pour de bon. Faisons de cette fille une ennemie du progrès. Faisons en sorte qu'elle ne soit plus côtoyable.
Vous voyez? C'est ça le problème. Ce n'est même plus subtil. Aussitôt que la face de quelqu'un ne revient pas à 2-3 militants qui jouissent d'un succès d'estime dans leur cercle, on peut voir venir l'humiliation publique se dessiner à des kilomètres. Ça pourrait être n'importe qui, je le répète : tout le monde a des comportements problématiques. La question c'est plutôt : es-tu dans la mire de militants qui bandent rien qu'à l'idée de te laver publiquement?
On salive dans l'espoir que ce gars qui nous tape sur les nerfs like le statut d'un gars qui connaît un gars qui porte une casquette MAKE AMERICA GREAT AGAIN. On est comme les petits monsieurs/petites madames chez Dollarama qui ont les étoiles dans les yeux dès qu'ils repèrent une potentielle situation conflictuelle au loin. Ils sont donc contents de pouvoir foncer en sauvages sur le gars qui magasine paisiblement en plein milieu de l'allée, right?
Comportements problématiques
Le dialogue est important quand vient le temps de parler de comportements problématiques. Il y a des cas limpides, où il y a consensus, qui ont été abondamment discutés sur l'espace public, comme le blackface, par exemple. Ou encore, les dreads. C'est une évidence : ne touche pas au blackface. Mais il y a des cas moins clairs, parfois inédits, qui divisent encore les militants, des cas dont on a peu discuté. Je suis blanc, je peux-tu faire ça du jazz? Mettons que j'en joue depuis 20 ans? Je ne suis pas fermé à l'idée qu'on se dirige vers un monde où les blancs ne jouent plus de jazz. Mais d'abord, je crois que nous devons dialoguer.
Il y a des cas où on devrait faire preuve d'indulgence plus que d'autres. J'aurais tendance à être moins sévère avec le blanc qui joue du jazz qu'avec l'autre qui se fait un blackface. Sévir dans un esprit de règlement de compte, c'est vouloir signifier aux gens que t'as raison, que t'es passé par-dessus les intellectuels et militants qui réfléchissent encore à la question. C'est de la mise en scène de soi. Ça ne doit plus se produire. On ne doit plus laisser les mégalomanes assoiffés de chair instrumentaliser l'appropriation culturelle pour des intérêts purement malhonnêtes et personnels.
Militer à l'ère de la post-vérité
Vous voulez un autre exemple? Ok, allons-y avec un truc qui m'est arrivé récemment. On m'a accusé quelques fois d'occuper beaucoup de place dans les médias. On a dit que j'accordais un tas d'entrevues aux journalistes sur des enjeux qui ne me concernent pas (condition féminine, racisme systémique, transphobie), qu'on pouvait m'entendre régulièrement traiter de ces enjeux sur la chaîne nationale, ou encore, à RDI.
Autrement dit, je serais omniprésent dans les médias. Je ne prendrais pas conscience du fait qu'on s'intéresse à moi, homme blanc cisgenre hétérosexuel, plutôt qu'aux personnes opprimées, et je refuserais donc de me tasser pour laisser la place aux gens qui seraient mieux qualifiés que moi pour en discuter.
La critique est légitime. Cent pour cent en accord. Le problème ici, c'est que ça ne s'applique pas. Tout cela est faux. Je suis nulle part dans les médias. Je ne compte plus les fois où j'ai snobé des journalistes et où j'ai décliné une offre d'aller parler à Radio-Can. Il suffit d'investiguer un peu pour se rendre compte que mon dernier passage sur la Première Chaîne remonte à 2014. Mais apparemment, j'y suis tout le temps et je prends la place des femmes et des personnes racisées.
Et cette idée d'omniprésence médiatique et d'imposture fait plaisir à bien des gens. Elle permet de disqualifier ma personne, de m'avilir. Je suis le méchant Murphy Cooper, le gourmand, celui qui refuse de céder sa place. Truth is, je suis un concierge. Je fais de la chronique pour le même magazine depuis des lunes et suis possiblement leur dernier chroniqueur. Je n'aspire à rien de plus. Je suis au même endroit depuis les sept dernières années.
Mais qui se soucie vraiment de la vérité, right? N'importe quoi fera l'affaire pour légitimer une haine irrationnelle de moi, même un mensonge. Je l'observe, notamment, quand on vient me confronter sous une de mes publications. Un commentaire voulant que je passe ma vie à discuter d'enjeux sociopolitiques au micro de Radio-Canada récoltera quelque 30 likes et des commentaires du type « Dans les dents, Cooper! Tasse-toé! ».
C'est hallucinant combien personne ne pense à valider l'info. Ça arrange tous ces gens et puis c'est tout. Too bad. J'ai beau tenter de rectifier les faits avec le truc autrefois essentiel qui porte le nom de vérité, ça ne change pas grand chose. Le mensonge est déjà converti en fausse-vérité acceptée d'une pincée de militants. On m'accuse alors de résister, d'être incapable d'auto-critique. On m'intime froidement de me taire, de prendre mon trou.
Et si vraiment j'insiste, on finira par me placer dans un faux dilemme en opposant mes petits bobos aux luttes quotidiennes des femmes racisées, par exemple. Je sais, on me l'a souvent fait. Je fais donc bin pitié, dira-t-on. Hey, c'est pas drôle ça, des gens pensent que je suis partout dans les médias, snif snif, c'est un cas prioritaire, pauvre petit homme blanc.
Et évidemment, je perds d'avance. Ça va de soi que mon cas ne prime pas sur celui des femmes racisées. Ça va de soi que je ne fais pas pitié. Je n'ai jamais dit ou pensé ça. Je cherche seulement à rectifier les faits. Le sophisme est gros comme l'océan, mais personne ne semble vouloir le repérer. Soit, légitimons le sophisme pour échapper au dialogue. Et tant pis pour la rigueur intellectuelle. Sévissons à grands coups de règlements de compte.
C'est pour ça que le dialogue est nécessaire. Pour prévenir ce genre de situation. Pour qu'on puisse corriger les faits si on a l'impression que l'interlocuteur se trompe, pour nommer les sophismes, pointer les erreurs logiques d'argumentation, pour contrer la haine, la malice et la mauvaise foi. Pour ne pas accorder trop de sérieux à l'enfantillage et l'enculage de mouche.
C'est comme si Radio X avait infiltré les cercles militants
Les militants qui m'ont écrit à la suite de ma dernière chronique abondent en ce sens. Ils s'accordent pour dire que les gens ont peur de nuancer. Crisse, peur de nuancer. Peur d'être balancés dans le camp adverse. Ils ne dénoncent pas la culture du call out en soi, mais plutôt, ils ont la chienne des militants imprévisibles qui raisonnent comme l'agent 728 et/ou Dom Maurais. Ou un adolescent de 14 ans qui vient de se défoncer la face.
Une militante m'a confié qu'elle se sentait débutante d'avoir laissé les choses aller comme ça, de s'être fait avoir par des novices qui emploient les mêmes méthodes qu'un Jeff Fillion va employer pour chier sur les cyclistes ou nier le racisme à Québec. Par exemple, Fillion va raccrocher au nez de son invité pour s'assurer d'avoir le dernier mot. Il va recourir au faux dilemme. Il s'en prendra à son interlocuteur plutôt qu'à ses idées. Dans certains cercles militants, ça ne se passe pas vraiment différemment. C'est comme si Radio X les avait infiltrés.
C'est ça qui est dénoncé. La montée de l'anti-intellectualisme à même les cercles militants. La peur qui empêche le dialogue. Le gossip. Le manque de rigueur. Le fait qu'on accorde une légitimité et du sérieux à des gens pas qualifiés/outillés du tout pour aller confronter sur la place publique.