Imagine un bâtiment en pierre datant de la fin du dix-neuvième siècle. Pour entrer, tu grimpes un majestueux escalier orné d’un tapis rouge. Un portier t’ouvre respectueusement la porte et tu pénètres dans ce qui t’apparaît vite comme un somptueux manoir d’une époque lointaine. Premier réflexe : tu restes figé derrière les portes ornées de vitraux, face au hall d’entrée, comme stupéfait d’autant de beauté. Tu as tout d’un coup la bizarre impression que rien n’a changé depuis le temps que Lord George Stephen, premier baron Mount Stephen, habitait cet endroit avec sa femme Annie Charlotte Kane de 1883 à 1900. Tu croirais entendre de la vieille musique, mais c’est sûrement ton imagination qui te joue des tours…
Un bâtiment… hanté ?
Tout d’un coup, un petit frisson te parcourt le corps devant ce décor impressionnant, puis un souvenir te revient. Tu te remémores que tu as lu quelque part que le lieu avait déjà été répertorié comme… un des lieux les plus hantés de la grande métropole !
Sorti de ta torpeur, tu commences enfin à bouger. Tu fais quelques pas, et tu remarques un gigantesque escalier fait en bois massif sculpté avec tellement de détails que c’est un objet d’art à lui tout seul. Tu lèves la tête, des lustres magnifiques faits de cristal sont suspendus au plafond. De vieux tableaux de portraits d’ancêtres, des vitraux, des tapis anciens presque intacts, des boiseries d’époque, des pièces à n’en plus finir, forment l’impressionnant décor. Tu te dis que l’endroit ressemble d’emblée plus à un musée qu’à un établissement abritant un restaurant, un bar, et même un hôtel. Et pourtant, c’est ce qu’on a réussi à créer avec ce bâtiment, classé patrimoine historique national, qui est simplement incroyable. S’il devait y avoir une liste des décors les plus « instagrammables », cet endroit figurerait au top de la liste. Et tu pourrais peut-être même, après quelques clichés réalisés avec ton téléphone, remarquer sur une de tes photos une ombre ou un nuage diffus quelque part dans le coin, manifestation fantomatique d’un résident des lieux… parce que oui, c’est déjà arrivé à quelques chanceux ! La PR du groupe qui chapeaute le resto et le bar du Mount Stephen nous a même raconté qu’une fois les employés de soir ont vu le gigantesque lustre du hall se balancer tout d’un coup de gauche à droite, comme par une force paranormale qui lui aurait donné une poussée. Pour ma part, j’adore ! Cela ajoute tellement de cachet à l’endroit !
Un lieu chargé d’histoire
La famille Stephen a été la première à occuper les lieux, puisque ce sont eux qui ont fait bâtir la résidence. Après 1900, c’est le beau-frère de Stephen, Robert Meighen, qui occupa la maison, puis sa succession de 1900 à 1925. Deux ans plus tard, la maison fut vendue à des intérêts privés et l’endroit fut transformé en Gentlemen’s Club, un lieu de réunion incluant un restaurant destiné aux hommes de l’élite montréalaise. En 2012, un projet d’hôtel voit le jour et une annexe plus contemporaine est construite derrière le bâtiment ancestral. Au total, 96 chambres sont aujourd’hui offertes aux gens qui veulent y passer la nuit. Le club privé cessa ses activités en 2011 et depuis, on a rénové et amené quelques modifications pour accueillir un nouveau bar et un nouveau restaurant, appelés simplement… George, en l’honneur du premier propriétaire de la résidence.
Un bar d’une autre époque
C’est hallucinant de voir quand un designer d’intérieur travaille bien, comment il peut intégrer des éléments dans un décor, même aussi majestueux que celui du Mount Stephen, et donner l’impression qu’ils ont toujours faits partie du lieu. C’est le cas du bar ovale central qui a été rajouté à la pièce et qui n’est donc pas d’origine. Majestueux, fait de bois et de marbre vert, il ajoute au style d’époque et te donne une envie folle de boire des cocktails à la mode ancienne ! La compagnie qui a intégré ce bar, et qui a repensé aussi l’espace du restaurant, est Métaphore Design. Et franchement, ils ont su garder le look chic et rétro du début du siècle dernier, tout en insufflant un peu de modernité au décor en y ajoutant des tableaux qui respectent le style d’antan, notamment.
Si tu viens au Mount Stephen pour y manger, ou juste pour visiter, tu dois absolument passer par le bar. Premièrement parce que cette pièce est un peu le cœur et l‘âme de l’endroit. Tu peux facilement imaginer des hommes d’affaires et des lords, ainsi que sûrement quelques miladies délurées du dix-neuvième siècle, assis autour du bar sur la quarantaine de hauts tabourets, fumant cigares et sirotant quelques cocktails à la mode de l’époque. Aujourd’hui, c’est une faune différente, mais tout aussi enjouée et friande de cocktails, qui anime l’endroit.
Carte des alcools
Côté cocktails, l’amateur n’est pas en reste. Derrière le bar, une tête familière : le réputé mixologue Maxime Boivin (La Fabrique à Boire) a conçu la carte et t’a concocté avec son co-équipier Drahos Chytry, une carte d’inspiration britannique pour rester avec le thème de l’endroit. En effet, le groupe Olivier & Bonacini de Toronto, celui même qui est à l’origine de la création du restaurant et du bar George, ont décidé de s’inspirer du premier résident et de ses origines britanniques, pour offrir à la clientèle un concept cohérent. Et c’est franchement réussi…
Non seulement les changements apportés par le groupe O & B ajoutent de la plus-value à l’endroit et lui donnent un cachet d’antan, mais en plus, côté cocktails, c’est vraiment réussi ! Une carte avec des spécialités d’inspiration anglaises, comme ce Pimm’s Cup (le cocktail officiel de la Reine Elizabeth II d’Angleterre et celui du tournoi Wimbledon), ou le Golden Square Mile Sour, nommé en hommage du secteur historique peuplé d’aristocrates britanniques où se trouve le bâtiment. En tout une quinzaine de délicieux cocktails originaux à 12,00$ chacun.
Si t’es plus amateur de spiritueux, sache qu’une belle sélection de whiskies irlandais et de scotchs d’importation privée t’attend aussi. Si ce n’est pas ton « cup of tea », non plus : sherry, portos, eaux de vie ou même vins au verre te sont offerts à des prix entre 9 et 15,00 $.
Le menu bar
Tu désires grignoter au bar ? Cela tombe bien le menu à cet endroit est plus qu’intéressant. Et tu pourrais juste manger là, pour le lunch ou le souper, si tu aimes l’ambiance. Des spécialités de type « finger food » d’inspiration britannique et vraiment délicieuses te sont servies. Par exemple, un plat d’éperlans frits que tu manges sans t’arrêter, trempés dans une mayonnaise épicée et tomatée. Vraiment surprenant !
Autres plats savoureux : les pâtés au boudin noir, façon empanadas. Sincèrement, le meilleur boudin que j’ai mangé ! Un goût léger de viande mêlé à de la pâte croustillante et chaude font de ces pâtés une vraie merveille de grignotine. Autre plat incontournable : les délicieux roulés à la saucisse, pruneau et amande entourés de bacon ! Une explosion de saveurs dans ta bouche ! Plusieurs curiosités aux accents britanniques à découvrir : le ploughman (plat de fromages, de charcuteries accompagnées de pickles) ou le foie de poulet en pot, ou encore les œufs dans le vinaigre. Mais si tu veux des plats plus substantiels, vas-y pour le tartare de bœuf, le jarret de porc persillé ou le steak du majordome, servis en plats principaux avec accompagnements. Tous ces plats te sont offerts au bar de 14 à 23 heures. Côté prix, ils sont plus que raisonnables, allant de 9 à 18 dollars pour les entrées, et autour de 24 dollars en moyenne, pour les plats principaux.
Le restaurant et les salles à manger
Si tu préfères juste prendre l’apéro au bar et t’installer confortablement dans une superbe salle à manger pour manger, tu peux le faire en réservant ta place au restaurant situé au rez-de-chaussée, à ta droite en sortant du bar.
Cela te permettra d’admirer le magnifique décor inspiré des heures glorieuses du 19e siècle. Encore un superbe travail de décoration de la part de Métaphore Design. Tout est si coquet, si élégant : du papier peint au thème équestre, en passant par les sofas en velours bleu du petit boudoir à proximité des tables, aux boiseries magnifiques, aux lampadaires rétro, jusqu’aux assiettes fleuries de style antique ! Le souci du détail et le respect du thème victorien est visible partout. Je te mets au défi de rester concentrer durant le repas, sans fureter du regard chaque élément décoratif de la pièce !
Menu et chef
Il faut pourtant porter attention au repas. De toute manière, les plats arrivent si joliment présentés, que tu ne peux faire autrement que les fixer du regard lorsqu’ils te parviennent. Et question saveurs, elles sauront retenir ton attention, crois-moi ! Le chef qui a concocté le menu est Kevin Ramasawmy, un montréalais d’origine mauricienne qui est allé travailler en cuisine à New York, ainsi qu’à Toronto pour le groupe O & B. C’est là qu’il a fait la connaissance du chef exécutif du groupe, Anthony Walsh. Ce dernier devient son mentor et le pousse à se dépasser. Aujourd’hui, il revient à Montréal, la ville de ses premières amours culinaires, placé par le groupe O & B à la tête des fourneaux du restaurant George.
« J’ai toujours aimé le Québec, ses produits locaux et sa scène culinaire effervescente. Je suis très content d’y retourner, moi qui ai passé un certain temps dans les cuisines du Québec, jusqu’en 2001 plus exactement. J’ai pu expérimenter le métier de cuisinier dans un trois macarons Michelin à New York, chez Daniel Boulud, pour être plus précis, et même là-bas, rien ne se comparait aux ingrédients du Québec. », affirme avec passion chef Kevin.
Les plats s’inspirent donc de la tradition britannique, avec des produits locaux autant que possible (Porc de St-Canut, légumes de chez Birri, fromages de chez Terroirs), mais il y a quand même des petites entorses au concept, signe que le chef ne veut pas trop s’enfarger dans les fleurs du tapis ! « Au menu, on offre aussi une tourtière qui fait davantage partie du patrimoine québécois que Britannique. J’avais envie de la mettre au menu, parce que c’est trop bon ! De plus, j’utilise du cari, et même une recette de sauce au cari qui me vient de ma mère, avec de la compote de pommes ! Une sauce qu’on mangeait à l’Ile Maurice. Comme l’Angleterre a eu une forte immigration d’origine indienne, le cari n’est pas non plus étranger à la tradition culinaire de ce pays. »
Mais avant tout, ce qu’on remarque des plats mitonnés par chef Kevin, c’est cette envie de partager des recettes réconfortantes et goûteuses. « On voulait offrir une cuisine accessible, avec des plats de viande, de poissons, mais aussi des choses plus légères, comme des salades, par exemple. Tout ceci à des prix accessibles pour que les Montréalais de tous acabits se sentent à l’aise de venir manger. Ce qui est totalement différent de l’époque où c’était un club privé. »
Les entrées étaient délicieuses et totalement originales. Comme dans la cuisine british, on va utiliser des ingrédients moins courus chez nous comme du hareng salé, du maquereau mariné, du chou brûlé, des plats de viande en croûte de style Wellington et des pruneaux, par exemple. La salade de chicorée et de chou à la vinaigrette d’anchois est un franc succès, délicieusement bonne (13 $), ainsi que celle de cresson et de betteraves (12 $). Une belle façon de commencer avec quelque chose de frais. Côté plats principaux, les plats de viande sont nettement plus populaires (il faut dire que les poissons ne sont pas ceux auxquels on est habitués, à part pour la morue. Plus goûteux et plus salins. Il faut aimer). Coup de cœur pour l’épaule de porc St-Canut glacé à la sauce aux prunes et bière Guiness (29 $) La viande fond littéralement dans la bouche ! Et aussi le poulet de Cornouailles présenté comme un poussin, dans une pâte enroulée autour (27 $). Original et délicieux.
Côté desserts, un assortiment des plus savoureux desserts issus de la campagne anglaise (là où on sait cuisiner les meilleures sucreries du monde) vous attend. Optez pour les différents « poudings » décadents. Mes préférés ? Le désordre de Stephen : une coupe remplie de morceaux de meringue, de crème fraîche et de baies mélangées (12 $) ou le Gâteau roulé aux fruits de l’argousier, avec crème caillée et amandes. Mélange sucré-acidulé qui explose littéralement, comme le fruit d’ailleurs, en bouche !
Les heures d’ouverture de la salle à manger vont de 11:30 à 15:00 pour le lunch. Pour le souper, on peut réserver notre place entre 17:30 et 22:00 (la cuisine ferme à 23 heures). Pour les petits déjeuners en semaine, c’est servi de 7:00 à 10:30 et les week-ends, le brunch est servi à la carte. On compte environ entre 9 et 18 dollars pour les entrées. Pour les lunchs, les prix varient entre 14 et 28 dollars, et pour les soupers, de 19 à 44 dollars (avec une moyenne autour de 25 dollars).
Les prix pour la qualité de la nourriture offerte sont très abordables. Ce qui est un autre avantage à venir manger dans cet établissement époustouflant. Le service est sympa et aux petits soins. Le directeur général des opérations, Marco Gucciardi (ex-Burgundy Lion), viendra sûrement vous saluer en salle. Il est d’une gentillesse peu commune, tout comme le chef d’ailleurs.
Le petit plus
Si tu as le temps, monte à l’étage supérieur pour admirer les salles privées. De magnifiques pièces meublées dans l’esprit victorien avec de multiples détails fascinants d’architecture t’y attendent. Des endroits qui peuvent être réservés pour des mariages, partys privés, réunions ou juste repas intimes. C’était les chambres privées de la famille Stephen, au début du siècle. Profites-en pour faire un tour aux toilettes, tu n’en reviendras pas du décor et de la robinetterie ! Gageons que tu te prendras un selfie dans ces fameuses salles de bain du premier étage… ! Et si tu ressens, un petit coup de vent qui te refroidit le dos, dis-toi qu’un membre de la famille Stephen vient assurément, en toute courtoisie, de te saluer au passage !
Photos par Marie-Claude Di Lillo, sauf indications contraires
Bar George
1400, Drummond, Montréal