Ma chronique de la semaine dernière a suscité de fortes réactions. Je le dis d'emblée : je m'en excuse.
Dans celle-ci, je donnais l'impression de brosser un portrait pas super reluisant et sale des Québécois blancs de souche, de les mettre, tous, dans un seul et même panier. Quand les premiers commentaires m'étant sévèrement défavorables se sont fait connaître, je n'étais pas encore en mesure de saisir ce qui était en train de se produire. Parce qu'évidemment, dans ma tête, le texte que je venais d'écrire n'était pas celui qui m'était prêté. Impossible. Je n'avais pas pu commettre une aussi grossière généralisation. Je chronique chaque semaine depuis 6 ans, quel idiot je ferais d'aller prétendre que les Québécois pure laine sont d'immondes racistes, et pire encore, d'en faire un cas d'exception sur l'échelle mondiale. Je n'ai pas 14 ans, quand même.
Si c'est ça que vous croyez avoir lu mardi dernier, mon Dieu que je vous comprends d'avoir trouvé ce texte haineux, ignoble et empreint d'ignorance. J'aimerais cela dit vous rassurer : ce n'était pas du tout mon intention de faire mal paraître les Québécois de souche comme ça.
Comme je l'ai admis aussitôt que j'ai pu réaliser la bourde commise (dans un Mea Culpa initialement publié sur Facebook et qui a été assez bien reçu), j'ai seulement très mal écrit ce papier. J'ai manqué énormément de précision et de nuance, notamment dans la prémisse où tout pourtant se jouait. J'ai tenté de dire trop de choses dans un seul texte et, malheureusement, d'importantes subtilités ont échappé à mon attention. J'aurais dû faire lire à plus d'amis avant de publier. J'aurais dû m'y prendre quelques jours à l'avance et non point à quelques heures du deadline. Me montrer plus vigilant.
Ce que j'ai voulu dire très maladroitement c'est qu'un certain type de Québécois, blanc et de souche, calquait organiquement le modèle du babyboomer belliqueux, à fleur de peau et territorial. Et qu'il visait à s'en faire une fierté, une identité, jusqu'à vouloir l'imposer à toutes les Québécoises et tous les Québécois, dont je suis, je le rappelle.
J'ai grandi sur la Rive-Nord. J'ai observé un tas d'amis se convertir en jeunes babyboomers dès qu'ils ont atteint l'âge de posséder un permis de conduire et un pick-up. Quand je retourne sur la Rive-Nord, les babyboomers et néo-babyboomers sont partout. Rien n'a changé. L'air méfiant, hostile, le chest bombé de mâlitude, projetant une impression d'être parés à protéger un territoire fictif dans l'allée des céréales à l'épicerie. Plusieurs de mes amis idéalisaient l'archétype du gars de la construction qui catcall les femmes sur son heure de lunch. C'est comme un des modèles les plus préconisés si tu veux t'y épanouir en tant qu'homme. C'est aussi, tristement, un de ceux qui te sont vendus comme étant le template du vrai de vrai Québécois.
Depuis ma naïveté d'adolescent au secondaire, la fierté d'être Québécois m'apparaissait comme inaccessible, tenue en otage par ceux qui cultivaient le plus férocement une haine viscérale des anglais, ceux qui criaient plus fort que les autres et ceux qui se défonçaient la face jusqu'au blackout en gueulant VIVE LE QUÉBEC LIBRE TABARNACK. On pouvait difficilement contester cette idée ni même en discuter. Fallait savoir, dire et agir sans poser de question. C'était souvent le plus belliqueux qui l'emportait.
C'est pourquoi j'ai fui la Rive-Nord et me suis établi à Montréal. Parce que, justement, je savais fort bien que ces gens n'étaient pas représentatifs de tous les Québécois. Je savais que Montréal pouvait m'offrir une alternative meilleure.
Partant de cette expérience, j'ai seulement voulu dire que ce modèle ne m'avait jamais vraiment parlé. Qu'il m'avait poussé à regarder ailleurs, ou plutôt, à mettre sur glace mon projet de fierté d'être Québécois. Sans cracher dessus pour autant. Sans en être honteux non plus. Seulement, à force de me faire marteler à quoi devrait ressembler un vrai Québécois, c'est comme si quelque chose chez moi s'était brisé.
Puis, j'ai extrapolé. Je me suis dit que si moi, homme blanc francophone, ne me reconnaissais pas dans ce modèle qu'on avait tenté de m'enfoncer dans la gorge, alors qu'en est-il des personnes racisées qui n'ont pas ce loisir de jouer les fanfarons au même titre que ce modèle bien spécifique de Québécois fier-à-bras qui s'enlise dans la conduite acariâtre et la trashitude qu'il idéalise?
Évidemment, je souhaitais pointer que c'était le propre de la culture blanche que de pouvoir assumer sans problème une attitude belliqueuse sans éveiller les soupçons de gangstérisme, de terrorisme ou de proxénétisme. Ça ne veut pas dire que tous les blancs sont belliqueux. Ça veut seulement dire que les blancs peuvent se permettre une attitude fanfaronne en s'en tirant beaucoup mieux que les autres.
Je disais que les communautés culturelles et religieuses à l'intérieur même du Québec luttaient chaque jour contre ces stéréotypes de conduite violente ou trash qui leur étaient affublés, alors que les Québécois de souche, s'ils le souhaitent, peuvent et/ou vont tout à fait ouvertement assumer ces mêmes stéréotypes pourtant rejetés en bloc par les diverses communautés.
C'est en suivant ce modèle, et ce modèle seulement, que je concluais que le Québécois pure laine avait tendance à exclure, voire rebuter les minorités malgré lui. Je disais que ce Québécois bien précis façonnait son identité en fonction de ses privilèges d'homme blanc, en fonction des stéréotypes de trashitude qui arrivent dans le même colis et en fonction de tout ce que les personnes racisées — et même les femmes — ne pourraient pas toujours se permettre.
Par exemple, un musulman coincé dans le trafic devra probablement y penser 2-3 fois avant de frapper comme un fou furieux sur le klaxon. Tandis qu'un noir devra s'attendre à être traité différemment s'il s'emploie à catcaller une femme blanche sur la rue.
Voilà pourquoi il est difficile de se reconnaître dans le Québec et davantage quand tu as évolué dans un environnement où tous ceux qui n'embrassent pas un patriotisme férocement convaincu sont moqués et pointés du doigt.
C'est ça que j'ai voulu exprimer. En aucun cas je n'ai voulu mettre tous les Québécois dans le même panier ni leur causer préjudice. Je n'éprouve de haine pour personne.
Malgré l'ambiguïté de ce texte, plusieurs avaient compris son angle et voyaient parfaitement où je voulais en venir. Quarante-huit heures après sa publication, ce billet semblait même encore faire quasi unanimité. Jusqu'à ce qu'un premier commentaire lui donne un ton tout autre. C'est là que ça s'est mis à dégénérer et que les fortes réactions ont commencé à rentrer. J'avais perdu le contrôle sur l'essence de mon propre texte.
Au départ, je l'ai défendu bec et ongles, ce papier. J'étais même en accord avec pratiquement chacun des commentaires négatifs. Seulement, je croyais que ces gens m'avaient peut-être mal interprété. Parce que dans ma tête, le texte que j'avais écrit n'avait rien à voir avec les accusations déposées sous celui-ci. Finalement, j'ai relu mon texte et j'ai rapidement réalisé qu'il manquait trop de nuance pour que je puisse le backer.
Un texte mal ficelé. Je n'ai pas résisté trop longtemps face à la critique ; je l'ai sitôt reconnu. Mon texte était mal foutu et c'est comme ça. J'assume. Je me suis trompé. J'ai mal écrit. C'est l'appréhension de tous les gens qui écrivent : mal écrire. Et j'ai mal écrit.
Mais en même temps, il y a un truc franchement libérateur dans le fait d'avoir finalement mal écrit. Un peu comme échapper son téléphone intelligent face première contre la céramique. C'est fait, c'est réglé. Terminé l'angoisse d'échapper son téléphone. Il gît sur le sol froid de la salle de bain, la vitre fissurée. Te voilà, bêtement, un peu plus léger.