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Le Détesteur: pourquoi Guy Nantel devrait revoir son vox-pop ou cesser
Crédit: David Ospina, llumfabrika

Je vais faire l'exercice pour vous. Guy Nantel sort des buissons, outta the blue, alors que je m'adonne à passer par-là, pointe le styromousse de son micro à quelques centimètres de ma gueule et m'assaillit de questions relatives à l'histoire du Québec, qu'est-ce qui se passe? Il se passe que j'aurais sûrement l'air épais à au moins deux de ses questions.

Tiens. Je l'ai dit. L'épais, dans le vox-pop de Guy Nantel, pourrait être moi. J'ai questionné des gens dans mon entourage et, du bout des lèvres, ils l'ont finalement reconnu : l'épais, ç'aurait pu être eux aussi.

Et pourtant, de toutes les critiques que j'ai pu lire ou entendre au sujet de ce vox-pop, depuis toutes ces années, tous et toutes m'ont paru beaucoup trop orgueilleux pour admettre que le niveau de difficulté des questions de Guy Nantel était franchement inégal et que, du coup, ils n'auraient pas obtenu le score parfait de 100%, eux non plus. Même Guy Nantel, tout en chaleur, alors qu'interviewé par André Péloquin du Journal de Montréal, avait la mine cafouilleuse, confronté à ses propres questions. Bien conscient du risque de se faire prendre à son propre jeu, il avoue même s'être préparé avant de se rendre à l'entrevue.

Mais pourquoi alors continue-t-on de faire comme si ces « pauvres gens » qui acceptent de jouer le jeu de Guy Nantel devaient être sauvés par nous, infaillibles lettrés, nous qui n'aurions SANS DOUTE pas de misère à répondre du tac au tac à chacune des questions posées? Pourquoi tient-on tant à se donner cette posture morale? À s'exclure, s'exempter du lot et prendre de haut les divers personnages qui figurent dans un vox-pop de Nantel?

Mais oui, évidemment, c'est idiot de répondre approximativement à des questions aussi évidentes que : qui est le Premier Ministre du Québec? Ou encore de se gratter la tête quand il est demandé combien de bougies Montréal soufflera sur son gâteau d'anniversaire quand on sait qu'il est inscrit 375 à peu près partout dans la Métropole.

Certaines des réponses fournies par les interrogés nous amènent effectivement à sourciller. Mais il est là, je crois, le piège. On fait comme si l'ensemble des questions posées étaient du même calibre que « qui est l'actuel maire de Montréal? », on se fâche après Guy Nantel parce que des gens auraient, semble-t-il, perdu la face après avoir donné une mauvaise date à la question « en quelle année Montréal a-t-elle été fondée? ». Comme si nous étions immunisés contre cette machine à créer des risées à l'échelle de la province.

On dénonce le mépris de Nantel, mais, paradoxalement, on accepte de jouer le jeu en laissant passer l'idée qu'on aurait l'air nono de ne pas connaître très exactement toutes les réponses aux questions. Comme si nous étions au-dessus de tout ça. Mais quel insidieux mensonge : certaines questions échappent certainement à notre culture/mémoire. Et c'est bien correct. 

Je ne peux pas croire que nous ne revendiquions pas notre droit à l'erreur, notre droit à l'oubli et/ou notre droit à l'inculture. Nous accordons à Nantel la posture qu'il se donne puisque nous la partageons avec lui. Nous craignons d'être amalgamés à ceux qui ne connaissent pas le nom du PM actuel du Canada. Alors, à l'unisson, nous nous indignons en prenant bien le soin de ne pas nous inclure parmi les idiots : aucun sens de mépriser des personnes démunies comme ça!

Quand Nantel échange avec ses proies, il fait de nous ses complices. Quand il leur répond avec la répartie qu'on lui connaît désormais, il prétend que nous connaissons les réponses. Quand, pour nous faire rire, moqueur, il valide avec eux leurs réponses erronées, c'est comme si ces questions nous paraissaient si évidentes qu'elles n'avaient pas à être répondues correctement. Parce que tout le monde sait ou devrait savoir ça anyway. Et tant pis pour ceux qui auraient souhaité s'élever un brin. Nantel ne redirige pas ses interviewés vers la vérité et personne ne se plaint de cet aspect spécifique de son vox-pop puisqu'il est sous-entendu à travers notre silence que nous sommes déjà les détenteurs de ce savoir évident.

Guy Nantel à l'ère du podcast

Le vox-pop de Guy Nantel appartient dorénavant à une autre époque. Il pourrait pourtant lui apporter de solides améliorations en s'inspirant du modèle du podcast par exemple, l'adapter à l'époque en cours. Mais rien de ça. Il s'entête à conserver son format initial qui commence à se faire supra redondant et vieux.

Le podcast ne nous prend jamais de haut ni ne nous prend pour des cons. Le podcast place tout le monde sur un même pied. Il est neutre dans sa manière de nous transmettre le savoir. Il ne présume rien sur l'identité de l'auditeur. Il prend le temps de vulgariser et de désamorcer dès le départ les complexes et les insécurités. Le podcast ne prend pas de chance, il se dit que pas tout le monde n'est un érudit dans le sujet qu'il s'affaire à traiter. Il est même probable qu'il s'adresse à des ignares qui partent de loin ou tout simplement à des gens qui sont rouillés.

Alors il prend le temps, il est patient. Sa voix rassure. Il part du tout commencement et pose la mine réconfortante de son crayon sur la plus blanche des feuilles à l'intérieur du carnet le plus vierge. Il outrepasse le système d'éducation le plus primaire et révise avec nous le savoir le plus rudimentaire. Il n'exclut pas. Il veut que tout le monde sache, que tout le monde puisse accéder équitablement au savoir et à son rythme propre.

On prend goût au savoir. À ces voix généreuses qui veulent notre bien et qui ont sur nous l'effet salvateur du Xanax.

Le podcast nous affranchit de l'élite condescendante qui vise à tenir les non-initiés à l'écart du savoir. Il nous guide sans tabou dans notre quête sans prétention plutôt que de nous balancer bêtement que Google existe. Il nous dit de quel côté de la bibliothèque regarder. Il nous susurre à l'oreille que ce n'est pas si grave d'ignorer, et que, de toute manière, si nous l'écoutons à l'instant, c'est bien parce que la volonté de connaître s'est manifestée.

De plus en plus de gens adhèrent au podcast. De plus en plus de gens sont soulagés d'apprendre qu'au moins une personne dans ce cruel monde est déterminée à les délivrer, de manière tout à fait bénévole et charitable, de l'ignorance qui pourrit leur vie depuis un moment. Soulagés d'apprendre que le savoir, c'est pas rien que pour les bourgeois privilégiés qui accèdent à une éducation supérieure.

Plus ça ira, plus on taxera les Guy Nantel de mauvaise foi. C'est tout le monde qui paie les frais avec des gens comme eux dans le décor médiatique qui s'obstinent à tenir les ressources en otage à des fins d'humiliation renouvelable, mais surtout, qui nous poussent à faire semblant de connaître des faits jugés par eux (et ensuite par nous) évidents pour échapper à la moquerie de la famille, des amis ou des collègues. Ce sont eux, entre autres, qui nous gardent à la surface et rendent pratiquement impossible l'émancipation. 

On entendra parler ici et là de ce concept d'impuissance apprise (learned helplessness) qui veut, notamment, qu'une personne placée dans une situation où tout le monde autour d'elle semble comprendre ou réussir aisément finira, démotivée, par croire qu'elle n'y arrivera jamais, et abandonnera, résignée, impuissante, toute tentative pour parvenir à ses fins parce que ça ne lui sert plus à rien d'essayer. Et ceci, même lorsqu'il est question d'un problème pourtant hyper-simple à résoudre.

La résignation acquise plonge la personne dans un état de déprime et d'anxiété et l'engourdit. Elle peut faire passer pour de parfaits imbéciles des gens qui, d'ordinaire, en zone de confort, où personne ne cherche à les prendre en défaut, pourraient répondre avec aisance et confiance aux plus simples questions. Elle ne leur donne plus l'envie d'apprendre puisqu'ils ne s'en ressentent pas dignes.

Mais comme nous évoluons dans une société où tout le monde se plaît à feindre l'érudition sociopolitique et à se placer instantanément au-dessus de ceux qui se trompent et/ou ne savent pas, j'ai l'impression que c'est tout un peuple qui souffre d'impuissance apprise, tout un peuple qui est engourdit, qui ne croit pas mériter que le savoir lui soit distribué.

J'ai le sentiment que Guy Nantel, qui génère avec son vox-pop des millions de vues, y contribue immensément. Tandis que le podcast nous en délivre. Après avoir essuyé plusieurs critiques, Nantel ne veut tout simplement rien entendre. Il fait à sa tête. Ne cherche pas à moderniser son vox-pop, ni à le mettre en phase avec l'époque. C'est son choix. Mais un choix, cela dit, avec lequel je suis férocement en désaccord. 

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