Le week-end dernier (pas celui qui vient de passer, l'autre d'avant) se tenait la ventre trottoir de mon quartier (#VERDUNLUV), celle qui chaque année donne le coup d'envoi à l'été. Installé à la terrasse du café qui me sert normalement d'espace de travail, j'observais les gens festoyer. Ils étaient là, devant moi, tout sourire et pétillants. Ils ne s'adonnaient à rien de bien particulier ; ils étaient juste là, se lovant dans l'inconfortable futon en cuir de la première canicule de l'année, et voilà qui suffisait pour les rendre comme ils étaient.
Après avoir rangé mon laptop dans mon sac, j'ai emprunté le trottoir pour me rendre à l'appartement. Tous ces gens débordant d'enthousiasme, popcycle à la main, pilaient sur mes pieds, obstruaient le passage de leurs pas lents et désorganisés et s'inséraient furieusement dans ma bulle exiguë et hostile à la chair nouvelle. L'énergie qu'exhalaient ces corps intoxiqués à la Vitamine D formait un immense nuage d'irritation et d'inconfort au dessus de ma tête. Je sentais le malaise m'engloutir tout rond. J'ai accéléré la cadence. Puis soupiré.
Je me suis demandé : mais comment ça que le bonheur des gens m'énerve autant? J'aime l'humain, pourtant. Vraiment. J'aime échanger avec lui. J'adore la vie. Je ne suis pas de ceux qui se font une fierté à dire qu'ils sont misanthrope.
Non, en fait, je crois, c'est que je me reconnais chez ces gens ; je reconnais l'ancien moi. Dans une vie très lointaine, je m'agrippais aux événements festifs, aux premières journées d'été et aux festivals. J'anticipais Noël, ma fête et Halloween. Je comptais sur ces moments spéciaux dont la date est encerclée sur le calendrier pour entrer dans un état extatique où je partagerais joie et sourire avec la famille, les amis et les inconnus dans un même endroit qui réunit tout le monde.
Et tranquillement, je me suis mis à trouver que tout ça m'apparaissait comme immensément factice. Je me découvrais. Je me plaisais de plus en plus à passer du temps seul en ma propre compagnie. Aller au bout de mes angoisses. J'apprenais à ne plus dépendre des gens, de la météo et des happenings. Des choses sur lesquelles je n'avais aucun contrôle.
Je m'apprivoisais jusqu'à, ultimement, devenir mon meilleur ami. J'ai développé puis cultivé au quotidien une passion pour les activités à faire en solo, celles, toujours, qui me rapprocheraient de moi. La littérature, la musique, le café, la marche, la mode, la nature, le podcast, la photo, la vidéo, les enjeux sociopolitiques, l'écriture, les mots, le cinéma d'auteur, la poésie. Je me laissais disparaître dans la contemplation, dans une quête de compréhension du moi, de l'autre et de tout ce qui normalement échapperait bêtement à ma curiosité.
Je me suis isolé. On se fait parfois du mauvais sang pour moi. On me reproche de dire non souvent. On s'inquiète du fait que, dans les fêtes, je n'aie pas le coeur à la danse. On cherche à me faire rire quand je ne ris pas et à me faire feeler cheap quand j'espère pouvoir attraper le dernier métro.
Il m'arrive de croire ces gens. De me convaincre que je suis un être malheureux, cynique et envieux parce que je ne danse pas ni ne festoie pas comme eux. Parce que je ne m'enivre pas de la même façon. Parce que leur énergie m'agresse tellement.
Et puis, pour ajouter à l'irritation, la tendance est au bonheur affecté, épuré. Mon fil Instagram ne cesse de me suggérer des inconnus qui insistent pour que d'autres inconnus sachent combien heureux ils sont. Ride de bateau cet après-midi #HAPPY #LAVIEESTBELLE. C'est vendredi! #TGIF #BONHEUR. Pique-nique avec les girls! #SMILE #SOURIRE #GRATITUDE.
Mais pourquoi ces gens m'énervent-ils autant? Je suis donc bin grincheux, right? Je l'ai pensé longtemps. Je me demandais si je n'étais pas simplement jaloux de leur freaking bonheur. Mais pourtant, comme j'en fais mention plus haut, j'aime l'humain, j'aime ma vie, j'adore mes parents. Je n'ai que des bons souvenirs raccordés à mon enfance. Je suis de nature zen. On me reconnaît à ma patience et ma bonhomie. Je considère être une personne foutrement bien équilibrée. Je le dis, je suis privilégié à ce propos : je n'ai pas la déprime facile. Je m'adapte efficacement, rapidement et sans problème.
Le voilà mon problème avec ces porte-étendards du bonheur à tout prix. Ils me donnent l'impression d'être une imposture, de ne pas savourer la vie adéquatement. Ils viennent me chercher là où je suis paisible pour m'entraîner de force avec eux dans un endroit qu'ils estiment meilleur pour moi. Mais je le connais bien cet endroit ; j'y ai séjourné souvent. Cet endroit solennel où la joie est relâchée pour un soir seulement, l'instant d'un moment spécial et anticipé. Où le bien-être est vendu comme un immense bloc de frénésie contenue juste assez longtemps pour qu'il emprunte les allures d'une espèce de piñata gonflée à capacité maximale, prête à éclabousser tout le monde qui passera par là. Un one shot deal.
Vous préconisez un bonheur provisoire et non-durable alors que je travaille depuis des années à juste être bien avec tellement peu, de manière continue et constante. C'est pour ça que vous m'énervez autant. Je ne vous sens pas sincères. Votre exaltation me semble bien mal-dosée.
Où êtes-vous durant les journées grises où l'impressionnant plafond de nuages menace de vous frôler les cheveux? Pourquoi les trottoirs sont-ils si peu sollicités quand le mercure indique en deçà des 20°C? Qu'est-ce qui explique qu'on vous aperçoive courir pour votre vie quand le ciel décide de nous envoyer quelques gouttes de pluie humide?
Pourquoi, moi qui suis d'ordinaire assez bien, devrais-je vous croire quand vous me martelez que vous nagez dans le bonheur à grands coups de léchées dans un cornet de crème glacée? Votre rendez-vous avec lui me semble beaucoup trop stratégique et hashtaggé pour être authentique. Vous apparaissez, disparaissez puis réapparaissez en groupe de la manière la plus prévisible possible. Mais on n'invoque pas l'allégresse avec des formules pré-faites et des fêtes organisées en son honneur.
Vous n'arrivez pas à me convaincre que vous appréciez la vie avec ou sans votre esti de Mr. Freeze des premiers jours d'été. C'est faux. Vous mentez. Le bonheur m'ennuie. Je ne le convoite plus depuis des lunes. Les lendemains de trop plein d'euphorie sont aussi lourds et pénibles à porter que les difficiles matins de hangover. Ils me donnent l'impression d'avoir feint, de m'être abandonné dans le simulacre alors que je pourrais vivre ma vie auprès de moi-même, en harmonie avec mes angoisses, mes pensées et toutes les choses intimidantes et spontanées que je ne puis contrôler.
Je ne peux faire la fête avec vous. Mon bien être est trop bien dosé. Il se répand dans mes veines un peu chaque jour et se manifeste avec l'aide de bien peu de choses. Je ne peux exploser d'un bon grand coup puisque je ne réprime rien. Je m'épanouis dans tout ce que la vie m'apporte au quotidien.
Ne t'en fais pas si je ne souris pas sur commande. J'ai probablement souri en masse toute la journée. Je vais bien. Toi?