J'entretiens une curieuse relation avec la mort. À 4 ans, je suis passé à ça de mourir. Je n'avais plus de globules rouges dans mon corps.
Puis, déjà enfant, ma mère confiait à mon frère et moi qu'elle avait perdu sa maman très tôt, alors qu'elle n'avait que 13 ans. Cette tragique possibilité de perdre ma mère s'était rapidement insérée dans ma petite tête fragile : on peut perdre, à tout moment, cet être qui nous est le plus cher au monde. Même enfant. La vie est injuste et la mort n'a d'empathie pour personne, même pas les enfants. J'avais compris ça.
Peu de temps après nous avoir livré cette confession, elle perdait son père. Inconsolable. Puis sa grand-mère de 97 ans. Puis d'autres membres de sa famille. J'ai passé mon enfance dans les salons funéraires.
Toujours à la même époque, on m'a dit que le fils d'un voisin s'était étouffé avec le fromage de sa pizza. Mort. La voisine immédiate de droite a perdu le combat qui l'opposait à un cancer du cerveau. Le voisin de gauche, lui, a fait les manchettes après s'être endormi au volant de son pick-up au même moment qu'un train passait par-là. Déchiqueté.
Un après-midi d'été de l'année 1996, j'entendais depuis la fenêtre ouverte de ma maison un violent crissement de pneus qui ne semblait pas vouloir s'assoupir suivi d'un indicible vacarme qui ne cherchait à exprimer rien d'autre que la fatalité. Quelqu'un venait de mourir juste là, à ce précis moment, et ça ne faisait aucun doute. C'était la mort qui venait de relâcher le plus strident des cris. Mon petit frère, un peu foufou, était introuvable. J'ai hurlé son prénom. Non. Pas lui. S'il-vous-plaît la mort, pas mon petit frère.
Heureusement, c'était pas lui. C'était un petit bonhomme du même âge qui fréquentait la même école primaire que nous. Il était même connu des plus vieux vu son tempérament baveux. Pas super doué pour se faire des amis. Détesté de tous les enfants du coin, il se chamaillait régulièrement. Mon ultime interaction avec lui, d'ailleurs, était une chicane. Il est parti, comme ça, de la manière la plus brutale, tandis que personne ne l'aimait. Injuste.
Derrière le domicile de mes parents, une femme, la nuit, a fait exploser sa maison avec elle dedans. En plein désespoir, elle s'est enlevée la vie et, tant qu'à être là, pourquoi pas, fuck you la famille, dealez avec ma carcasse éparpillée sur la rue!, et fuck you le proprio de marde, j'emporte ta maison avec moi.
Quelques années après, j'apprenais pour cette fille que j'ai connue vaguement. Assassinée par son propre père, malade, qui refusait qu'on le soigne. La même année, un voisin avec qui j'avais travaillé la veille est décédé d'une mort suspecte. Du sang ruisselait de ses oreilles, narines et bouche. Deux jours plus tard, une amie de la famille s'est aventurée en motoneige sur un lac dont la trop fine glace n'a pas pu tenir le coup. Et puis bon, il y a tous ces suicides, les overdoses, les cirrhoses, et la vitesse au volant.
La mort refuse de quitter mes pensées. Tout, autour de moi, est fatal. J'organise en fonction de la mort. Si j'ai mis autant de temps à partir de chez mes parents, ce n'était pas pour pouvoir profiter gratuitement d'un toit et d'un frigo bien rempli. C'est parce que, longtemps, j'étais incapable de fermer l'oeil tant que je ne savais pas tout le monde en sécurité à l'intérieur de la maison. Si, la veille, je m'étais chicané avec mon père, je ne fermais pas l'oeil de la nuit et j'attendais qu'il se réveille pour le saluer avant qu'il parte travailler. Juste au cas où la mort avait fixé un rendez-vous inopiné avec lui. C'est la même histoire avec ma copine. Quand elle sort danser avec ses amies, je lutte contre le sommeil jusqu'à ce qu'elle soit rentrée.
Je m'attache difficilement aux gens. Je ne veux pas faire rentrer dans ma vie de potentielles morts, de nouvelles personnes pour qui je me ferais du mauvais sang. J'ai la crisse de chienne que tout le monde meure. J'ai fait la rencontre aussi de gens qui jouaient avec les humains comme on déplace un bibelot. Comme on s'en débarrasse.
Je me suis toujours mal expliqué ceux qui arrivaient à te sourire une journée et la semaine d'après te snober comme si ta mère ne t'avait jamais donné la vie. Je me dis qu'ils s'en câlisseraient si demain matin je devais mourir. C'est quand même ça que ça symbolise. J'en serais incapable. Je m'en voudrais d'avoir fait comme si ta vie humaine était dispensée d'importance. Le message que je t'enverrais serait trop fort : meurs d'un accident de char si ça te chante, je m'en laverai les mains. T'es rien. T'as déjà été quelque chose et maintenant t'es rien.
Je me souviens des fans qui reviennent me voir une seconde ou troisième fois. Je me suis rappelé de ce jeune homme porté disparu récemment et dont le corps fut repêché dans la rivière quelque temps après. Maximilien. J'avais fait un LIVE dans un Tim Hortons l'été dernier. Il était venu me voir alors que je promettais un medium iced capp à la première personne qui viendrait le réclamer. Le gars me connaissait de nom seulement. On a jasé un peu, puis, il est reparti. Quand j'ai appris pour sa tragique mort, j'étais bouleversé.
C'est l'importance que je t'accorde : je ne supporte pas l'idée que tu puisses mourir, même si on s'est seulement serré la main dans un 5 à 7 en 2009. Je pense à toi. Je pense secrètement du bien de toi. Je t'espère le mieux. Ma mémoire ne t'efface pas aussi facilement. Quelque part au fond de moi, l'enfant de 6 ans qui a peur de perdre tout le monde te regarde avec beaucoup beaucoup d'empathie.
J'ai naïvement pensé que c'était la même chose pour la plupart des gens. À tort, évidemment. Je me suis acclimaté rapidement même si parfois je fais encore le saut. Je m'étonne toujours de voir qu'on puisse switch up abruptement et se débarrasser d'un humain sans problème ni remord. Comme si la vie sur terre était si dense qu'on pouvait se permettre de jeter à la poubelle.
On me partage parfois des anecdotes de date Tinder et j'admets être entièrement dépassé. T'as beau m'expliquer que c'est quand même bin juste du cul, je ne comprends pas plus. C'est un solide investissement humain, il me semble. T'acceptes de dévoiler ton intimité et de l'abandonner aux mains d'un ou d'une inconnu.e le temps d'une nuit (ou deux). Pis quand t'es tanné : fuck you, décâlisse! Bye pour la vie, t'es rien du tout.
Une amie m'a déjà dit qu'elle voulait juste essayer un dude. Voir de quoi son pénis avait l'air. Ses affaires. Ça la regarde. Elle me disait que c'était entendu dès le départ qu'elle détestait ce gars. Mais elle le trouvait hot. Autrement dit : viens ici, on fourre, pis après je te paye Uber pis tu décâlisses. Non seulement tu décâlisses, mais j'entretiens un mépris encore plus grand maintenant qu'on l'a fait pis je talkshit sur toi petite merde.
Comme je dis, c'est son truc. Je n'ai pas mon mot à dire. Le sexe, c'est complexe et ça ne regarde que les gens qui y consentent. Même si les deux partis se détestent. C'est comme ça. Sur le coup de la spontanéité, ils en ont envie et le font. Personne n'a de compte à rendre.
N'empêche, je ne pourrais jamais m'adonner à une activité comme celle-là. Je m'intéresse trop à l'humain, l'individu, son histoire. T'imagines si tu mourrais demain matin et que je t'avais ghosté la semaine d'avant? Cette idée m'est inconcevable. Ça me hanterait pour un moment.
J'accorde trop d'importance à ta personne et à ce que tu me dis. Le ghosting évoque pour moi la mort éventuelle d'une personne dans mon indifférence la plus totale : tu peux mourir, je suis en paix avec ça.
J'ai côtoyé la mort trop souvent pour que je puisse me départir aussi aisément des humains qui partagent ou même frôlent seulement ma vie. À moins, bien sûr, que tu sois une personne nocive, mais ça, c'est une autre histoire.