Notre critique de « Doggy dans gravel » : où violence verbale et hébertisme font parfois bon ménage
P.-A. BuissonSi vous avez momentanément oublié la fin de votre adolescence, et l’écrasante incertitude mêlée d’excitation qui a probablement gouverné votre vie à ce moment, Doggy dans gravel est là pour vous rafraîchir la mémoire, en mode « cube de glace dans les bobettes ».
Entre deux séances de YouTube où il regarde des gens se faire défoncer la tête à coups de crowbar, et la consommation d’une quantité probablement malsaine de pornographie, Maverick, le héros atypique de la pièce ébauche une réflexion sur sa génération, à la fois terrifié par ses perspectives d’avenir et confus par les accomplissements identitaires de ses pairs.
Avec ses quatre comparses scouts, après une longue journée de porte-à-porte peu fructueuse, il décide spontanément de s’inviter à un après-bal au fond d’un champ, persuadant ses amis que l’occasion est parfaite, et « qu’à soir, on va frencher! » Les vignettes qui servaient de mise en contexte laisseront place à une lente dérape vers l’absurdité inhérente à une fête d’adolescents, où l’alcool est consommé de façon absolument irresponsable et donne lieu à de savoureux moments de confusion, et où le focus sur la possibilité de copuler n’est pas terriblement subtil.
La fougue de la jeunesse dans toute sa splendeur, sans censure parentale, est présentée sous forme de tableaux qui sombrent graduellement dans le trash absolu. On est loin des festins meurtriers de Caligula ou de la démesure dépravée de Pasolini dans Salo, mais votre grand-mère serait probablement quelque peu déroutée – tout comme Francine Grimaldi, dans la salle lors de la première, qui a répété à plusieurs reprises « C’est quoi ça? ».
Un des comédiens s’étant blessé, la production a trouvé le candidat idéal pour le remplacer : Arteau lui-même. Arteau qui, disons-le tout de suite, réalise un tour de force linguistique, en jonglant avec des mots crus, incorporant au discours des personnages du jargon puéril et des références à la culture pop américaine dont semblent raffoler ses personnages. Allitérations, phrases-chocs, franglais et poésie : le texte coule admirablement bien, pétri d’un niveau de réalisme ahurissant, jusque dans ses virgules et ses soupirs.
Porter plusieurs chapeaux dans une production de cette complexité relève de l’exploit. Le spectacle est rodé au quart de tour, précis comme une horloge, et la cohésion quasi chimique des comédiens a déjà été éprouvée et solidifiée à loisir lors des premières représentations l’an dernier au Théâtre Premier Acte de Québec.
Quelques segments musicaux nous offrent des chorégraphies cabotines, au son d’une électro tapageuse, et les maquillages grotesques de tous les personnages nous le confirment : on ne joue pas ici dans la subtilité. La libido envahissante qui mène la plupart des personnages les remplit d’une énergie difficile à gérer, et les acteurs rendent très bien cette fébrilité constante.
Est-ce un portrait juste d’une génération élevée par l’internet et dont les propos feraient parfois sursauter n’importe qui? On a tous été jeunes, certains plus récemment que d’autres, et la démesure de l’adolescence est ici rendue d’une façon à la fois gargantuesque, érudite et festive. C’est certes un peu provocateur, mais pour des raisons louables. Et ça ouvre la saison du Denise-Pelletier avec un fracas qui fait du bien à vivre.
Le Théâtre Kata, fondé par Arteau et ses comparses Lucie M. Constantineau et Nathalie Séguin, a désormais quatre productions à son actif, et si toutes les pièces qu’il nous a proposées ne sont pas aussi festives que celle-ci, elles sont certainement uniques et profondément ancrées dans leur époque. Et ils ne chôment pas – vous pourrez bientôt voir, à Québec tout d’abord, leur création Made in beautiful, qui sera présentée au Premier Acte du 23 janvier au 3 février 2018.
Doggy dans gravel est présenté au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 16 septembre.
Le texte de la pièce a été publié chez Dramaturges Éditeur, et est disponible dans toutes les bonnes librairies.