Pour mes fans les plus assidus, il sera difficile de croire ceci : Murphy Cooper a déjà été adepte de hockey. Yup. Comme plusieurs petits garçons nés dans les années 80s, j'aspirais à devenir le prochain Patrick Roy. J'entretenais une passion, probablement aussi intense que celle de mes jeunes amis, pour le sport : je collectionnais les cartes et les affiches (autographiées ou pas), j'évaluais la valeur des cartes dans le Beckett, j'allais voir le CH jouer au Forum et au Centre Molson. J'ai rencontré Saku, Jocelyn Thibault, Donald Brashear, Brisebois, Recchi et les autres de cette cuvée-là.
La télé, chez moi, demeurait toute la journée syntonisée chez RDS et TSN. Il y avait quelque chose avec la voix des commentateurs et analystes sportifs. Avec du recul, je suis de plus en plus persuadé que ces gens possèdent une formation en hypnothérapie. Ces voix qui rompaient le silence abyssal de l'ère pré-numérique se voulaient rassurantes et salvatrices. C'étaient, d'autant plus, les voix que chérissaient mes parents, grands-parents, oncles et tantes. Ces voix qui les raccordaient encore à l'époque glorieuse d'un Maurice Richard à l'aube de la mort.
J'ai vécu deux victoires de la Coupe Stanley à Montréal. Ma première, en 1986. Je n'avais que deux ans. L'autre, en 1993, j'avais alors 9 ans. Difficile de ne pas feeler nostalgique. Rien que l'arrivée de l'automne m'amène à diriger mes yeux vers la fenêtre des maisons dont la lueur de la cuisine rappelle le confort et la chaleur du repas d'avant-match. Depuis le trottoir, je ne puis entendre le son qui se heurte aux murs de gypse du domicile ciblé, mais je peux facilement m'imaginer la trame de fond qui meuble chacune de ses pièces le soir d'une game. J'ai envie d'être là. Envie d'aimer le hockey à nouveau.
Bref, j'étais fan de hockey. Mais plus maintenant.
C'est en vieillissant que ça s'est gâté. C'est comme si, en se rapprochant de l'âge adulte, il n'y avait qu'une seule et bonne manière d'être fan de hockey. Je m'en détachais tranquillement. Ce n'était pas ça le deal initial, il me semble. Enfant, le seul prérequis pour se qualifier était d'être rêveur, crédule et avoir des étoiles dans les yeux.
Tranquillement, il fallait s'intéresser au salaire des joueurs, à leurs stats. Il fallait parler de hockey et de rien d'autre que de hockey. Et parler de hockey, beaucoup de hockey, c'est aussi parler souvent à travers son chapeau avec la conviction d'un scientifique. C'est obstiner avec force les gens qui ne croient pas que ton équipe éliminera une autre équipe pendant les séries en seulement quatre matchs. C'est pointer l'incompétence des joueurs sur la glace et leur faire porter le blâme pour les défaites successives alors que le temps finira par nous révéler que tu ne sais pas tout à fait de quoi tu parles. C'est parler comme si tout était une vérité évidente et irrécusable.
Mon intérêt pour le hockey s'est abruptement volatilisé au début des années 2000s, alors que j'étais encore ado. Je ne souhaitais que consommer mon hockey comme je consomme mon art. Je le voulais neutre et sans étiquette marketing destinée à un type très très spécifique de personne. Je n'avais pas envie de me prendre au sérieux en parlant du sport. Juste… apprécier sans avoir l'impression d'avoir signé un contrat qui me lie invariablement à une casquette à palette curvée, une marque de bière et des chiffres dont je me tabarnack. Laisse-moi juste m'imprégner de l'envoûtante magie qui flotte dans l'air, des voix qui commentent la partie, laisse-moi m'enivrer de passion et de nostalgie. Ce n'est jamais plus possible.
Les fans dosent bien mal leur engouement pour le sport. Comme si les moments entre chaque match se voulaient atrocement longs et pénibles et devaient être comblés nécessairement par encore plus de hockey. C'est ça qui m'a fait décrocher. On ne peut pas vivre pour le hockey comme ça. C'est pathétique. On doit pouvoir échanger, lire, se cultiver et en revenir de l'esti de hockey.
Début de vie adulte, tout devenait prétexte pour parler de hockey ou s'adonner à une activité relative au hockey. Ou encore, faire des trucs qui n'ont pas vraiment de lien avec le hockey, mais qui s'agencent bien, genre, mépriser les candidats d'Occupation Double ou un après-midi alcoolisé sur le lac en bateau.
Hockey bottine, hockey de ligue, hockey sur la patinoire municipale. NHL 2001, 2002, 2003, 2004 et 2005 à la PlayStation. Anecdotes salées tirées de la dernière douche dans la chambre des joueurs amateurs : c'est à cet endroit que semblaient naître les rumeurs et les mauvaises réputations; c'est ici-même qu'était nourrie la masculinité toxique, où étaient proférées les moqueries à caractère misogyne et homophobe.
Mon besoin grandissant de questionner le monde autour d'un café se voyait sans cesse étouffé par « la folie du hockey ». On ne s'échangeait plus de cartes, on ne collectionnait plus d'objets vintage ayant pu appartenir à Bernard Geoffrion. Il fallait passer à la phase adulte de l'adulation du sport. Il n'était plus là question d'une véritable passion, mais plutôt d'une carrière de comptable qui ramène sa job à la maison même le week-end. Tout ça mélangé à une espèce de gossip vicieux et redondant où il est donc important de contempler l'intérieur de la maison des joueurs et de connaître dans quels clubs ils sortent et avec qui ils couchent.
Le hockey faisait en sorte que tous les moments de solitude, d'anxiété, de malaise et de mal-être étaient systématiquement comblés par les activités de groupe de manière à ce que personne ne puisse passer plus d'une heure en tête à tête avec lui-même. Le moindre mal, la moindre pensée anxiogène était patchée avec du hockey.
Quand on parle de nous comme de grands passionnés de hockey, je ne peux réprimer mon envie de sourciller jusqu'au ciel. Je m'explique mal comment ces potinages insipides et cette inclination ennuyante pour les chiffres et les salaires pourraient être qualifiés de passion.
La passion, nous l'avions dans la peau dès la naissance. Ça, tout à fait. Mais qu'en a-t-on fait une fois devenus adultes? Regardez-vous. Tôt, vous avez rangé vos yeux d'enfant. Chez plusieurs de mes vieux amis, le hockey a plutôt servi de levier vers un cruel manque de curiosité, de savoir et d'autonomie intellectuelle où les cafés et les promenades à pied entre deux humains ne furent jamais préconisés.