Le metteur en scène Claude Poissant, qui s’avère aussi être le directeur artistique du Théâtre Denise-Pelletier depuis quatre ans, nous a présenté « Hurlevents » avant la première médiatique de jeudi dernier, comme l’exige la tradition. Racontant à l’auditoire qu’en arrivant à son nouveau poste à l’époque, une des premières personnes qu’il avait approchée pour lui confier la réécriture d’une pièce de répertoire était Fanny Britt, il ajouta qu’on lui avait demandé à quelques reprises si c’était une adaptation ou une révision. « Je dirais plutôt que c’est une transgression », répondait-il aux curieux, ne blaguant qu’à moitié.
Car bien que le matériel de source de la pièce soit Wuthering Heights, le mythique roman d’Emily Brontë, le résultat final porte la signature de la prodigieuse dramaturge, autant dans les dialogues que dans la psychologie des personnages. Le ton est donné pendant le prologue où Marie-Hélène (Catherine Trudeau), une professeure d’université, parle des Hauts de Hurle-Vent à ses élèves. « Est-ce que le roman parle d’une passion dévorante, ou d’une maladie mentale? », leur demande-t-elle.
Le drame se joue pendant le souper de départ d’Émilie (Florence Longpré), qui part vivre en Écosse pendant un certain temps. Y sont invités ses colocs Édouard (Benoit Drouin-Germain) et Isa (Emmanuelle Lussier-Martinez), Marie-Hélène, ainsi qu’une certaine Jane Burns, écrivaine au talent prématuré ayant récemment sorti un livre ayant fait beaucoup de bruit. Dehors, une tempête fait rage, et le vent siffle lugubrement.
Isa souhaite partir rapidement du souper pour aller rejoindre son amant, un autre professeur du département; Édouard est fébrile devant la perspective d’accueillir Marie-Hélène chez lui, car il aimerait bien lui avouer son amour; et des participants inattendus se grefferont au petit groupe – Catherine (Kim Despatis), la sœur d’Émilie, débarquera de Kamouraska en compagnie de sa mauvaise humeur et de son amoureux de peu de mots, Sam Falaise (Alex Bergeron), pour des raisons qui resteront un temps assez mystérieuses.
Les préoccupations très contemporaines dont déborde le texte de Fanny Britt jouent beaucoup sur les doubles standards qui nous entourent; ses talents de moraliste sont étincelants, et les observations mordantes sur les contradictions de la jeunesse se succèdent à un rythme vertigineux.
Les deux personnages qui évoquent le plus l’esprit du texte de Brontë, avec leur amour violent et dépendant, Catherine et Sam, servent de contrepoids laconiques face aux incessants échanges de leur vis-à-vis citadins. Pendant ce souper où crèveront à la surface de l’eau quelques bulles de vérités, et où des querelles éthiques fuseront, Brontë reviendra hanter le récit, de moins en moins discrètement.
Rarement aura-t-on vu un mécanisme d’entrée en scène aussi fulgurant que celui qui annonce l’arrivée des invités dans le petit appartement. La mise en scène de Poissant se plaît à questionner les différents niveaux de réalité, parsemant les transitions temporelles d’effets sonores inquiétants, transférant chez le spectateur ce sentiment d’aliénation qui traverse par moments certains personnages, comme cet Édouard qui semble utiliser toute son énergie pour ne froisser personne, ou Émilie qui fuit un chagrin d’amour qui la rend amère et vengeresse.
L’ensemble des interprètes est d’ailleurs très cohésif, avec Longpré et Trudeau qui se démarquent légèrement du lot. Les deux personnages masculins passent la pièce à susciter l’approbation des femmes au sein d’un quatuor de personnages féminins à la force tranquille. Si le but de l’exercice était de revisiter un classique, lui donner un souffle nouveau et en dépoussiérer les replis, on peut vous en assurer : la mission est accomplie.
La pièce est présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 24 février.