Invité des Grands Ballets Canadiens, Boris Eifman, talentueux chorégraphe russe, nous en met plein la vue. Avec son Requiem, il offre un doublé magistral, littéraire et musical, qui émerveille, jusqu’au bouquet final. Retour sur l'émotion d’un soir.
Le Eifman Ballet, à l’image du maître bien sûr, se veut indomptable. La proposition est donc explosive, par nature. L’oeuvre d’Art est reconnue comme néoclassique : les gestes sont d’une rigueur absolue tandis que la démonstration révèle une certaine philosophie dépouillée des corps. Témoins de l’Histoire et de la terreur vécue pendant l’époque des répressions en Russie, les danseurs deviennent tour à tour corps meurtris et esprits triomphants.
La première partie est celle de la poésie : les maux révélés par le texte d’Anna Akhmatova prennent tout leur sens à travers la musique angoissante de Chostakovitch et l’indécence absurde de Eifman. Le spectateur se laisse surprendre : à l’image de l’oeuvre poétique, le style est concis et épuré. La simplicité apparente atteste de la parfaite maîtrise des danseurs, aux mouvements d’une précision absolue. La douleur est fracassante, l’attente de la ration quotidienne nous terrorise, nous vivons l’agonie à travers des âmes mises à nu. Les tableaux sont superbes : la noirceur n’est ponctuée que d’une envolée radieuse, le reste n’est que mélancolie, guerre, fascisme et épouvante. Le temps s’arrête.
Le deuxième volet, tant attendu, nous transporte sur des airs du célèbre Requiem de Mozart. L’émotion est palpable. Douleur et désespoir marquent les visages, mais bientôt la lumière apparaît. Ici, la Mort, omniprésente, est un passage, une continuité, un pan de la vie que Eifman, aussi surréaliste que cela puisse paraître, a su rendre brillant, vibrant. De ses tentacules lumineux, l’obscurité du monde n’atteindra jamais vraiment sa cible. Des liens de notre destin, en tant qu’humains, sont tissés : l’histoire d’hier rejoint celle d’aujourd’hui dans ce théâtre de l’absurde que nous ne nous lasserons pas de voir, d’écouter et de ressentir. Nous suivons un homme, ses âges, ses vies, et plongeons avec lui dans un univers sensationnel, d’une force extrême, d’une chaleur apaisante, d'un amour universel. Les décors sont réduits à l’essentiel, tout comme les costumes, qui n’en sont pas vraiment. Pas de deux et tableaux se succèdent, de manière parfois redondante, décrivant ainsi le cycle de la vie, triomphante ultime face à la grande faucheuse. Le final, radieux, résonne comme un hommage à l’éternité, aux sons, aux lettres, à la chair, à la matière, à l’excellence et à la grâce.
À voir absolument du 21 au 25 février, à 14h et 20h, Salle Wilfrid-Pelletier, Place des Arts.