Le monde du sport est un domaine qui allume rarement les dramaturges. Il regorge pourtant de petits drames, de personnalités grandiloquentes, de sacrifices et de déchirements. Il est le théâtre d’une recherche d’équilibre entre la performance physique et la stabilité psychologique. Les athlètes, des gens ordinaires capables de prouesses extraordinaires, ont souvent vécu des expériences hallucinantes.
Traduit par Jean-Simon Traversy, ce texte de Lucas Hnath, un dramaturge de Washington, nous propose d’examiner le microcosme d’un club de natation, dont l’un des membres a le potentiel de se rendre aux Olympiques. Ray (Marc-André Thibault) vit pratiquement dans une piscine. Lorsqu’il ne s’entraîne pas, il donne des cours d’aquaforme aux retraités ou des cours de natation aux enfants. Il n’a jamais gradué et est habile dans une seule discipline : la nage. Il s’est même fait tatouer un serpent, qui louvoie de sa nuque à son pubis, car il aimerait que son surnom de compétition devienne « Le serpent de mer ».
La pièce s’ouvre sur un débat entre Coach (Guillaume Regaudie) et Peter (Louis Labarre), le frère de Ray, qui est aussi son gérant. Une glacière pleine de testostérone a été trouvée dans le vestiaire, une rumeur qui court suggère qu’elle appartient à Tad, un autre nageur que nous ne verrons jamais, et les deux personnages se demandent s’ils devraient alerter le comité antidopage.
Avec ses multiples retournements de situation, la trame narrative de cette pièce capte habilement l’attention des spectateurs. On y retrouve beaucoup de questions éthiques, notamment à propos de ce qu’un individu est prêt à faire pour éviter de perdre – que ça soit une compétition, une carrière ou un amour – et de l’aveuglement qu’ont parfois certaines personnes face à des situations difficiles dans lesquelles elles se complaisent.
Le deuxième sous-sol du Livart est ainsi transformé en complexe aquatique, avec chaises de sauveteur et parois de verre, et l’illusion est presque parfaite. Tout se passe près de la piscine, incluant le chantage éhonté que fait subir Lydia (énergique Catherine Paquin-Béchard) à Ray. Le personnage de Ray qui fait ici figure de martyr simplet au cœur pur, dont tout le monde cherche à profiter, parfois aux dépens de sa santé. Thibault l’incarne avec justesse, ayant l’air juste assez niais pour être crédible, et passant toute la durée de la représentation vêtu d’un Speedo.
Quelques répliques sont franchement hilarantes, et nous savourons à pleine bouche la douce ironie d’une longue série de trahisons. Les multiples phrases incomplètes sont un effet de style qui fonctionne peut-être dans la langue originale du texte, mais deviennent rapidement un défaut majeur dans la version que nous avons vu. On a du mal à déterminer, parmi les nombreux balbutiements, si les oublis de mots sont volontaires ou pas, mais on a clairement l’impression que Louis Labarre s’enfarge souvent dans son texte.
Outre ces petits détails, la mise en scène de Louis-Philippe Tremblay est imaginative et exploite l’espace inusité mis à sa disposition, ce qui fait de Rouge Speedo un très agréable moment de théâtre, à mi-chemin entre la fable moraliste et la comédie de mœurs.
Rouge Speedo est à l'affiche du Livart jusqu'au 24 mars.