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«Okinum» d’Émilie Monnet au Théâtre d’Aujourd’hui: devoir de mémoire
Crédit: Valérie Remise

«Okinum», ça signifie «barrage de castors» en anishnaabe. Dans ce premier solo conçu dans le cadre de sa résidence d’auteure au Centre du Théâtre d’aujourd’hui, Émilie Monnet nous amène avec elle dans un voyage astral pétrifiant, un rêve éveillé qui parvient à nous transmettre toute la beauté hallucinatoire – et la douleur lancinante – d’un peuple immobilisé par de nombreux barrages, autant réels que métaphoriques.
 
Le castor, emblème du Canada, possède des incisives qui poussent toute sa vie, et qui sont donc un avantage et une malédiction; il doit les user pour éviter qu’elles deviennent nuisibles. Avec l’humain, c’est le seul être vivant dont les créations peuvent être vues de l’espace. En l’utilisant comme point de départ, on comprend rapidement que l’artiste dresse un habile parallèle entre le sort qui a été réservé à l’animal quand les européens ont colonisé la Nouvelle-France, et celui encore plus funeste qui a été réservé aux autochtones.
 
C’est d’ailleurs une immense colère non extériorisée qui serait à l’origine de son cancer de la gorge, une autre métaphore pour toutes ces femmes muselées, réduites au silence par une société patriarcale et par la ghettoïsation dans les réserves.
 
Avec cette création trilingue, Monnet nous abreuve de la musicalité de l’anishnabemowin, une langue qu’elle apprend de son grand-père depuis 2013, et qu’il serait dommage d’oublier. C’est une expérience immersive et onirique, dans laquelle la musique et la conception sonore éthérée de Jackie Gallant nous permet de nous enfoncer encore plus profondément. Cette dernière est d’ailleurs présente dans la salle, avec ses machines, et performe en direct.

Au début de la pièce, Émilie Monnet surgit carrément de la «terre», et reste tout au long de son récit autour d’une scène cylindrique, que le public entoure intimement, avec deux ou trois rangées de sièges. Des écrans font aussi le tour de la salle, et les images de Clark Ferguson viennent rythmer le monologue, qui mélange des moments carrément documentaires, une bonne dose d’autofiction, avec des rêves qui prennent le dessus et nous laissent une impression pénétrante, comme si nous étions à bord d’un canot qui glisse doucement sur une rivière chimérique.
 
Il y a dans cette collection de petits moments bien ficelés des astuces de bricolage avec de l’écorce de bouleau, des traductions qui nous font découvrir toute la poésie de la langue anishnabemowin, et une fureur absolue, accumulée de génération en génération. C’est un impressionnant devoir de mémoire, et le partage d’une culture malheureusement méconnue.
 
On a un peu l’impression, vers la toute fin, lorsque la fureur de l’auteure laisse place à un calme absolu, qu’elle a transcendé sa propre mortalité, ou qu’elle est temporairement sortie de son corps pour devenir une témoin immatérielle, une observatrice spectrale et, à juste titre, indignée par la colonisation subie par ses ancêtres – et il y a dans cette colère une justesse foudroyante.
 
Okinum
Jusqu’au 20 octobre
Dans la salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’aujourd’hui.

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