«Bonne retraite, Jocelyne» de Fabien Cloutier à La Licorne : Grincer des dents en famille
P.-A. BuissonObservateur impitoyable des travers de notre société, Fabien Cloutier ne se contente pas de tisser une mosaïque de pièces incisives et grinçantes; il est aussi comédien, conteur, et chroniqueur. Sa production précédente, Pour réussir un poulet, a été reprise à La Licorne et a remporté le Prix du Gouverneur général en 2015. S’il est possible de dire une telle chose d’un dramaturge surtout reconnu au niveau provincial, disons-le : on lui voue presque un culte.
Sa plus récente production était donc attendue de pied ferme. Prenant la forme d’un rassemblement familial, organisé dans la cour de banlieue de Jocelyne pour célébrer sa retraite prématurée, elle dresse le portrait acidifié d’un groupe d’individus dysfonctionnels que seul le sang rassemble.
La famille joue à des jeux de jardin. Il y a des mauvais perdants, et d’autres qui n’ont aucune considération pour l’équipe adverse. De la rancœur de surface, et de l’ignorance fièrement brandie à bout de bras. Personne ne s’écoute. Les échanges ne sortent que rarement du superficiel, de la surface, et les opinions de chacun sont vivement contestés par d’autres. On se croirait dans une tour de Babel du 450 et du 819, ou au sein d’un échantillon louche des électeurs de la CAQ.
La scénographie, signée par Cooke-Sasseville, est à mi-chemin entre la caverne de Platon et un bar tiki, aussi kitsch et factice que la personnalité de quelques-uns des personnages. Jean-Guy Bouchard joue Paul, un éternel célibataire plutôt niais qui se complaît dans son univers restreint; ses sœurs Brigitte (Brigitte Poupart, en mode mesquin) et Jocelyne (Josée Deschênes, qui ne se départit pratiquement jamais de son expression hébétée) sont diamétralement opposées, mais se retrouveront dans leur critique acerbe de Jeanne (Sophie Dion), la femme de leur autre frère Justin (Éric Leblanc).
Le manque d’empathie est l’un des principaux ressorts du drame, dans lequel le rassemblement dégringole sous nos yeux. Que ça soi envers les dauphins avec lesquels on nage dans les tout-inclus ou envers Keven (Vincent Roy), le fils simplet de Jeanne et Justin qui est concierge au zoo, et qui vit une mordante peine d’amour, la cruauté désinvolte n’a pas de limites.
Et c’est d’ailleurs alors qu’une réelle méchanceté se glisse dans les échanges, et qu’on se dit que les gants sont finalement tombés, et qu’on assistera enfin à une tuerie, que la pièce se conclut brutalement. Et que nous sommes frappés par une évidence : nous sommes nous aussi tombés dans le piège, jugeant ouvertement les choix et les convictions des personnages sans réellement les connaître, dans un flagrant et hâtif diagnostic.
Bien joué, monsieur Cloutier, bien joué.
Bonne retraite, Jocelyne
Au Théâtre La Licorne jusqu’au 17 novembre.