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Les enivrés au Théâtre Prospero: lorsque l’ivresse laisse place à la lucidité

Les enivrés revenait cette année sur la scène du Prospero après avoir connu un grand succès au même théâtre il y a deux ans. Le texte du dramaturge russe Ivan Viripaev profite de son retour sur les planches montréalaises pour briller de nouveau, soutenu par la mise en scène du jeune prodige Florent Siaud et d’une distribution époustouflante de comédiens de grand talent.

 

Quand frappe l’éclair de lucidité

La pièce met en scène quatorze protagonistes (que dix comédiens interprètent), tous plongés dans un état d’ébriété avancé. On en retrouve quelques-uns sur le trottoir, d’autres à un party de mariage, une soirée entre amis ou un enterrement de vie de garçon. Tentant du mieux qu’ils peuvent de se tenir debout, chacun passera par un moment de grande lucidité qui leur ouvrira les yeux sur d’importantes tristesses enfouies profondément en eux. L’importante quantité d’alcool consommé les poussera à affirmer ce qu’ils n’avaient jamais encore osé dire, fera ressortir les questionnements et les amènera à avouer de grandes vérités.

 

Quête de sens, remises en question et recherche du bonheur sont quelques-uns des sujets existentiels abordés dans le texte, dans lequel on retrouve une tendance répétitive, comme si les personnages tentaient de se convaincre avec leurs propres paroles. Se trouvant constamment sur la fine ligne qui sépare humour, tristesse et pathétisme, les protagonistes, à la recherche de «la perle dans un immense tas de merde», désirent atteindre l’amour : de soi, de l’autre, de leur travail, de la vie en général.

 

Après quatre saynètes présentant différents personnages, on passe à un deuxième acte. Sur une scène maintenant devenue vide (chapeau d’ailleurs aux changements de décor qui se font de façon habile, créative et surprenante), sur le chemin du retour après leur soirée bien arrosée, les personnages, chancelants, croisent d’autres enivrés qui rentraient eux aussi à la maison. C’est la rencontre entre éméchés qui provoque l’éclair de lucidité qui les frappe et que les grandes révélations viennent alors à eux.

 

Provoquer notre propre remise en question

Les questionnements existentiels abordés dans la pièce ne peuvent nous laisser indifférents. Le texte, qui aborde les grands maux de notre société actuelle, est parvenu à me faire rire, à me toucher et à me faire réfléchir, et ce malgré le français normatif dans lequel il était livré, qui habituellement me rejoint beaucoup moins. Les thèmes abordés de façon viscérale ne m’ont pas laissé d’autres choix que de me questionner par rapport à ma position face aux cris du cœur des personnages cachant en eux une grande tristesse.

 

Je crois d’ailleurs qu’il s’agit là de l’intention de la pièce, soit celle de faire vivre une certaine introspection aux spectateurs qui y assistent. Dans Les enivrés, on brise à quelques reprises le quatrième mur, on implique le spectateur, on lui pose des questions, on le regarde directement dans les yeux : on prend les moyens nécessaires pour qu’il se sente concerné.

 

Il faut souligner le travail exceptionnel des acteurs qui parviennent à jouer, avec énormément de vérité, ces personnages chancelants. Mention spéciale à Paul Ahmarani en mari cocu, Maxime Denommée en futur marié indécis, Dominique Quesnel en homme grotesque et en femme coquette, Marie-France Lambert (hilarante!) en madame sur le party ainsi qu’à Evelyne Rompré en prostituée qui ne décroche pas du dernier film auquel elle a assisté.

 

Il ne faut pas s’attendre à se sentir particulièrement pimpant en ressortant de cette pièce qui aborde plutôt la vie de façon pessimiste, mais qui nous fait se poser beaucoup de questions (auxquelles il est toutefois souvent difficile de trouver réponse). Le jeu exceptionnel des acteurs, la mise en scène sans faille de Florent Siaud et la scénographie pleine de créativité de Romain Fabre valent toutefois complètement le détour.

 

Les enivrés, au Théâtre Prospero jusqu’au 28 septembre

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