Un nouveau texte d’Étienne Lepage, dramaturge incontournable de notre théâtre québécois contemporain, voit le jour cette saison sur la scène du Théâtre de Quat’Sous. Dans une mise en scène signée par le réputé Claude Poissant, Le ravissement dénonce, en entremêlant froideur, absurdité, humour et pathétisme, la société répressive dans laquelle nous vivons sans trop se poser de questions
La pièce raconte l’histoire d’Arielle (Laetitia Isambert), qui, le jour de ses 18 ans, ne souhaite rien d’autre que d’être elle-même. Prise d’une lucidité qui grandit en elle sans qu’elle ne le comprenne encore entièrement, la jeune fille, qui fait son passage à l’âge adulte, se défait de ce que son entourage attend d’elle.
Arielle défait les stéréotypes que lui attribuent sa mère (Nathalie Malette), son amoureux (Simon Landry-Désy) et son patron (Étienne Pilon). Ces trois protagonistes, déboussolés par le changement, se verront révoltés par la quête de liberté de la jeune fille, probablement à cause de leur incapacité à faire eux-mêmes le saut hors du moule que leur impose la société. Leur détresse coûtera cher à la jeune fille qui ne veut rien d’autre que de briser les chaînes qui la retiennent à être ce qu’on lui demande d’être.
Des choix intelligents et réfléchis
On pourrait reconnaître l’écriture d’Étienne Lepage à des milles à la ronde. Dans Le ravissement, on retrouve encore une fois les procédés stylistiques qui rendent l’écriture du dramaturge absolument unique. Les répliques courtes, répétitives et qui souvent ne vont pas au bout de la pensée, sont encore une fois à l’honneur. Ce style particulier crée l’illusion de personnages presque robotisés, qui disent ce que la société voudrait qu’ils disent, sans même en être conscients. L’écriture de Lepage nous éloigne certainement du naturel, ne nous émeut pas particulièrement, mais reste absolument brillante.
Il faut souligner le talent des acteurs qui parviennent à rendre brillamment ce texte loin d’être évident à jouer. Leur interprétation donne un sens à toutes ces répliques, qui souvent se répètent et semblent vides de sens, mais qui sont en réalité loin de l’être. Coup de cœur pour Nathalie Malette qui nous désole et nous fait rire dans le rôle de la mère envahissante et possessive ainsi que pour Étienne Pilon, hilarant, pathétique et grinçant dans la peau du patron macho et manipulateur.
La scène vide sur laquelle se déroule la pièce est le seul élément de chaleur qu’on retrouve dans cette œuvre à tendance froide et déshumanisée. Les lattes de bois clair, l’éclairage jaunâtre/orangé et la lumière sortant de la porte par laquelle Arielle fait ses entrées et venues laissent croire à une pointe d’espoir ou d’une réussite pour la jeune fille désirant s’extirper de la noirceur de son entourage toxique. La mise en scène, pour sa part, sobre et d’une incroyable simplicité, laisse toute la place au texte et à l’absurdité de ses propos.
Sur papier, et sur scène, tout est là pour me chavirer : un texte brillant, fidèle au style d’Étienne Lepage (que j’adore!), des comédiens intelligents à l’interprétation sans failles ainsi que des thématiques sociétales qui me rejoignent énormément. Pourtant, au final, je ne sais pas trop quoi en penser.
C’est difficile de se laisser aller et d’être touché par un texte froid et robotique de la sorte, même si je comprends la signification derrière ce choix. Peut-être manquait-il une pointe d’humanisme qui nous sort de la froideur à certains moments? Un effet de surprise dans la trame narrative ou la mise en scène? Je ne sais pas, mais dans tous les cas, je crois que la pièce est pertinente et fascinante, mais il ne faut pas s’attendre à en ressortir chamboulé.
Le ravissement, au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 16 novembre.