«Faire la leçon» au Théâtre aux Écuries : portrait de l’ironique système d’éducation
Virginie ChauvetteEst-ce qu’on ne devrait pas repenser le système d’éducation? Lui accorder plus d’importance, voire le prioriser? Le rendre plus humain?
Bien que je considère personnellement la réponse assez claire, ce n’est malheureusement pas ce qui se produit. On dit souvent : «Enseigner, c’est se mettre en scène». Est-ce que ce devrait vraiment être le cas? C’est autour de ces importantes réflexions que «Faire la leçon» prend vie cette saison au Théâtre aux Écuries, une pièce écrite par l’autrice Rébecca Déraspe et mise en scène par Annie Ranger.
La peur de devoir affronter l’affrontement
Quatre enseignants du secondaire, interprétés par Solo Fugère, Xavier Malo, Marilyn Perreault et Klervi Thienpont, se retrouvent dans une section du gymnase faisant office de salon du personnel. Ils profitent de leurs rencontres dans ce lieu pour ventiler, se confier et se soutenir, bien qu’ils se laissent parfois aller dans les jugements face aux pratiques de leurs collègues. Ils se montrent beaux, souriants, passionnés et forts, alors qu’en vérité, ils camouflent tous une grande vulnérabilité et la crainte d’être un jour confronté par la génération d’élèves qui a envie de faire bouger les choses. La vérité, c’est qu’au fond, ils sont d’accord avec eux.
Cette vérité, ils nous la confient un à un, lorsqu’ils se retrouvent seuls dans la salle des profs. C’est seulement lorsque leurs collègues quittent le local qu’ils cessent de se mentir et révèlent ce qu’ils auraient profondément envie de dire à leurs élèves.
Des thématiques tristement scolaires abordées avec sarcasme
La pièce offre des clins d’œil savoureux aux absurdités auxquelles sont fréquemment confrontés les enseignants : panne de courant, manque de locaux, travaux de construction pendant les cours, chaleur insoutenable créant des attroupements devant le ventilateur, et j’en passe. Se glissent parmi cela quelques références à des incontournables scolaires telles que le fameux test bip-bip, les nombreux films regardés dans les cours d’anglais et la dissection de grenouilles, qui nous font nous replonger dans nos souvenirs et nous décrochent assurément un sourire en coin.
Bien que le texte fasse souvent rire, l’ironie dont il est porteur fait aussi beaucoup réfléchir. «Faire la leçon» critique avec sarcasme la matière avec laquelle on bourre le crâne des étudiants, le fonctionnement du système scolaire et l’immensité de la tâche que porte l’enseignant sur son dos et le masque qu’il doit porter lorsqu’il se trouve face à ses étudiants.
En effet, les quatre personnages de la pièce sont torturés par le fait de devoir jouer un rôle devant leur classe. Ils voudraient leur dire la vérité à propos de certains sujets, leur apprendre à débattre et à s’affirmer, leur révéler qui ils sont vraiment, partager avec eux leurs convictions et leurs valeurs… Mais non. Les profs doivent plutôt se restreindre à enseigner la matière qui se retrouve dans les livres, sans jamais la remettre en question, sans jamais donner leur opinion.
L’exagération au cœur de l’interprétation
Dans «Faire la leçon», on se trouve bien loin du jeu réaliste. Tout est très exagéré, autant dans la mise en scène que dans l’interprétation. On joue gros, on bouge gros et ce, sans doute afin d’illustrer la grande mise en scène et le personnage dans lesquels doivent se plonger les enseignants lorsqu’ils se trouvent entre les murs de leur école.
Le Théâtre I.N.K., compagnie derrière la production du spectacle et dont Annie Ranger, la metteuse en scène, est la co-fondatrice, remplit pleinement son mandat artistique, soit celui d’intégrer à l’interprétation théâtrale des images racontées en mouvements. En effet, le jeu corporel occupe une place importante au sein de l’interprétation des acteurs, qui à plusieurs reprises, se livrent dans une genre de chorégraphie abstraite qui semble illustrer les angoisses et la nervosité des professeurs, tentant tant bien que mal de s’en départir. La présence de mouvements soutient magnifiquement le texte et ajoute une dimension dynamique et fascinante à l’interprétation des acteurs qui, parfois, bat de l’aile.
C’est malheureux, mais la crédibilité des acteurs laissait souvent à désirer. La plupart des moments qui se voulaient touchants, où le personnage se montrait vulnérable, manquaient d’une grande dose de vérité. À d’autres reprises, ces lacunes se faisaient présentes lors de simples répliques plutôt banales. Dans tous les cas, ces fluctuations dans la qualité de jeu ont eu comme effet de me faire décrocher et de tomber dans l’analyse plutôt que de me laisser transporter pleinement par l’œuvre.
C’est désolant puisque si on oublie le manque de justesse de quelques-uns des acteurs sur scène, je crois que «Faire la leçon» aurait eu le potentiel de renverser son public. La pièce se veut une belle et nécessaire réflexion sur l’enseignement et le futur que notre société réserve aux jeunes d’aujourd’hui. Le tout prend vie avec poésie, humour et dérision par le biais du texte de la talentueuse Rebecca Deraspe et de la mise en scène audacieuse et ingénieuse d’Annie Ranger, mais passe à côté de toute la puissance que l’œuvre aurait pu avoir à cause d’un manque de vérité dans l’interprétation de certains acteurs.