Entrevue avec Martin Juneau : «La restauration telle qu’on la connaissait n’existera plus»
Alexandre TurcotteLe célèbre chef québécois du restaurant Pastaga, Martin Juneau, a posté aujourd’hui un message important et triste à la fois.
Selon lui, déconfinement ou pas, le milieu de la restauration ne sera plus le même et on comprend qu’on ne retrouvera pas l’ambiance chaleureuse de nos restau préférés avant très longtemps. Juneau le dit lui même : « Tout ce que l’on sait, c’est que l’avion de la restauration 2.0 se bâtit en plein vol.»
Le take-out arrive comme un lot de consolation. Mais les bons vivants que nous sommes ont le coeur brisé.
On a décidé de jaser un peu avec lui (au téléphone) pour prendre le pouls de la situation dans son restaurant.
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Ça fait quoi de mettre les assiettes et les verres au sous-sol?
Au Pastaga, on continue d’avoir une cuisine et des verres. Notre maître d’hôtel continuait comme à son habitude de les astiquer après qu’ils soient sortis du lave-vaisselle. Je lui ai dit : ça sert à quoi de continuer cette habitude ? Ça ne sert à rien, on ne s’en servira pas pour nos clients. On ne pourra pas recevoir des gens chez nous avant un bon bout de temps.
Il a fallu remettre complètement en question notre métier. En tant que restaurateur et hôte, notre travail est d’accueillir les gens, de leur offrir une expérience, de les nourrir, les abreuver, ont leur fait passer un bon moment. Un moment qui passe dans une grande proximité. Tout ça est changé et y’a plus rien de ça qui existe.
Dernièrement, on a réalisé que la cuisine n’allait plus servir à saisir des viandes pour les servir avec un accompagnement dans une assiette à un client sur place. La cuisine va servir à faire des plats pour emporter. On a donc plus besoin d’assiette, sauf pour nous si on a envie de manger à l’heure du lunch.
On a plus besoin de plein de trucs. Alors on les a remis au sous-sol et on va les ressortir quand on en aura besoin. Pour l’instant ils sont dans notre chemin et ils nous empêchent de voir ce qu’on peut faire maintenant.
Au contraire, on a besoin de plein de trucs différents, comme des contenants pour emporter et on a donc tout réorganisé notre cuisine et ajouter des choses pour nous aider dans notre nouvelle business.
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Selon toi, quel est l’avenir de la restauration d’ici la fin de l’année?
Je n’ai pas l’impression que ça va revenir d’aussi tôt. Même si François Legault nous dit que demain on peut rouvrir. Je n’ai pas l’impression qu’on va pouvoir remplir notre salle. Même si on respecte les limites de distanciation sociale et le 2 mètres entre chaque table et qu’on est à 50% de notre capacité de salle, ça ne sera pas possible.
En plus, les loyers ne passeront pas à 50%, ils restent à 100%. Ça coupe grandement notre possibilité de payer notre loyer.
Surtout : qui a envie d’aller au restaurant et de se faire servir par un serveur qui a des gants et un masque et qui reste loin. Comment t’apportes une assiette à une table en restant loin?
La restauration haut de gamme, c’est un commerce d’émotion et de proximité. Tu as envie de connaître ton serveur, de l’aimer et de te faire aimer de lui.
Je ne sais pas à quoi ça va ressembler. À court terme, quand on aura la possibilité de se rassembler, les gens auront tendance à rester chez eux ou aller chez des amis et de s’offrir du take out. Je ne pense pas qu’ils vont se précipiter dans les salles de restaurants.
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Autant la nourriture, l’alcool aussi devient un enjeu ?
Pour ça, il va falloir que la SAQ s’ouvre. Ils vont devoir ouvrir de nouveaux points de vente. Les gens ne vont plus boire dans des restaurants, mais ils le font chez eux ou le feront à court terme chez des amis.
Vous offrez également la bouteille de vin + le repas à 1$ ?
Oui tout à fait! En fait, c’est qu’il existe des lois et des règles. Nous ne pouvons donc pas offrir d’alcool en rabais ou 5$ de moins sur la bouteille à emporter. Donc nous offrons un prix réduit sur le plat à l’achat d’une bouteille et ça marche assez bien.
Je considère qu’une heure de mon temps perdu à faire la file à la SAQ vaut plus qu’une bonne bouteille dans un restaurant.
Quand vous téléphonez chez nous, notre maître d’hôtel et réceptionniste peut même faire des recommandations à distance.
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Comment arrives-tu à garder le cap malgré toutes les incertitudes?
On a coupé 80% de nos employés au Pastaga. On est les 4 partenaires, moi-même, Alexandre Loiseau, Louis-Philippe Bretton et Kevin Fromentin à avoir les 2 mains dedans, plus trois employés. Donc on se tient occupé avec la gestion et la préparation de tout ça et ça fait du bien.
J’ai aussi l’impression que le take-out va devenir une habitude pour la restauration haut de gamme. Les prochains restaurants à ouvrir seront des restaurants take-out.
Qu’est-ce qu’on doit faire, nous, comme clients pour vous aider à survivre?
Commander de la bouffe! Placer une commande et venir la chercher. On est ouvert 7 jours sur 7 et les soirs aussi de 11h à 20h. Le bouche-à-oreille nous aide beaucoup. On est en train de bâtir une nouvelle business et on a besoin que les gens en parlent et l’adoptent.
On a également entendu dire que vous aviez une nouvelle livreuse ?
Oui, ma blonde Valérie Roberts! Comme tous ses contrats ont été annulés, elle s’ennuyait à la maison. Au début elle faisait ça avec sa petite voiture, puis depuis trois semaines je fais les livraisons avec elle et la voiture du Pastaga, un gros éconoline plein de graffiti.
On n’a pas le choix on a trop de demandes. On couvre la Rive-Nord et la Rive-Sud puis on essaie de couvrir plusieurs points. Pour l’instant ma blonde fait ça comme du bénévolat et on lui doit une fière chandelle.
On ne sait toujours pas de quoi demain sera fait, mais on souhaite au Pastaga et et à tous les restaurateurs de rester forts et positifs dans cette crise sans précédent. On est avec vous!