Ulster American au Théâtre La Licorne: un moment théâtral plus que nécessaire
Eugénie Voiselle-DécaryLe 19 octobre dernier, la comédie noire Ulster American débutait au Théâtre la Licorne situé sur le Plateau Mont-Royal. Écrite en 2018 par l’auteur irlandais David Ireland dans une mise en scène de Maxime Denommée, cette œuvre coup de poing agit comme un catalyseur de réflexions qui sont parfois difficiles à confronter, mais criantes d’actualité.
Pendant cette heure et demie de théâtre, on retrouve trois personnages ayant tous des motivations bien distinctes. Un metteur en scène aux avides ambitions, un acteur d’Hollywood déchu et une autrice montante de l’Irlande du Nord se réunissent pour la première fois à la veille des répétitions pour parler de la pièce et le moins qu’on puisse dire, c’est que rien ne se déroule comme prévu. Chacun des protagonistes voit la pièce de manière radicalement opposée et on se demande vraiment comment ceux-ci arriveront à un terrain d’entente.
Cette prémisse qui semble assez banale en apparence surprend très rapidement le spectateur par sa subversivité et par la brutalité des enjeux de société qui y sont abordés de manière subtile et tranchante. À travers la subjectivité de ces personnages aux intentions contraires, des thèmes urgents d’actualité sont abordés et on doit avouer que la plume de l’auteur et la sensibilité du metteur en scène font de tout ça un produit culturel brutal, mais portant à une réflexion nécessaire.
Quelques thématiques frappantes de la pièce sont le féminisme de façade et le mansplaining. Dès les premières minutes de la pièce, Jay et Leigh, acteur et metteur en scène de la pièce écrite par l’autrice irlandaise, entrent en discussion assez malaisante sur leur vision du féminisme (très performatif et problématique) en faisant des blagues de très mauvais goût sur la place de la femme dans la société, tout en gardant un ton puant d’hypocrisie et de sexisme internalisé.
Quand Ruth, la jeune autrice montante, arrive dans ce huis clos pour rencontrer les deux hommes, la soirée tourne au vinaigre très rapidement. Chacun tire son bord de la couverture pour tirer son épingle du jeu et en sortir en tant que grand vainqueur. Dans cette guerre d’ego mal placé de la part des deux hommes, on est touchés par Ruth (brillamment interprétée par Lauren Hartley) qui est rapidement confrontée à la misogynie rampante des deux hommes, qui ne veulent que profiter de sa plume pour se projeter sous les feux de la rampe. Jusqu’où ces hommes fourbes et sournois sont-ils prêts à aller pour prouver leur force? Ce qu’ils ne savent pas, c’est qu’ils ont affaire à une Ruth intelligente qui voit très clair à travers leur jeu et qui ne se laissera pas faire.
Qu’on pense aux dialogues irrévérencieux ou aux thèmes chauds de l’identité culturelle, du racisme et de la misogynie qui sont abordés, Ulster American est un bijou théâtral complètement captivant qui force le spectateur à réfléchir sur à quel point notre soif de pouvoir nous fait complètement déroger de certaines valeurs, cruciales au bien de la société.
Notons que cette comédie noire nous est savamment jouée par David Boutin qui incarne cet acteur complètement dérangé à l’ego surdimensionné et Frédéric Blanchette qui interprète un metteur en scène opportuniste d’une hypocrisie dérangeante. Rappelons également que Lauren Hartley est particulièrement touchante dans le rôle de Ruth.
Abordant des thèmes délicats de manière efficace et percutante, cette pièce mise en scène par Maxime Denommée pose un regard cru et critique sur notre vision de la célébrité toxique, de l’intégrité et du sexisme dans ce texte brutal de David Ireland. Bref, on vous conseille très fortement Ulster American pour y vivre des moments confrontants, une montée dramatique jouissive et pour y voir des acteurs investis qui communiquent merveilleusement ce texte lourd de sens.
Ulster American
Théâtre la Licorne