Aller au contenu
Inconnu à cette adresse: un moment de grâce adressé au public du TNM
Crédit: ARTCOMART

Thierry Lhermitte et Patrick Timsit ont brûlé les planches du Théâtre du Nouveau Monde mercredi soir pour la première de la pièce «Inconnu à cette adresse» et nous ont éblouis dans une performance inoubliable et historique. Incarnant respectivement les personnages de Martin Schulze, d’origine allemande et de Max Eisenstein, un juif américain, ils sont tous deux propriétaires d’une galerie d’Art, à San Francisco, au début des années 1930. 

La pièce de l’auteure américaine Kathrine Kressmann Taylor et mise en scène par Delphine De Malherbe, se situe entre 1932 et 1934, lors de la montée du nazisme et se dramatise par le biais d’un échange  épistolier entre les deux comparses, suite au retour de Martin dans son Allemagne natale.
 
Un décor minimaliste occupe la scène: deux aires de jeu où l’un et l’autre, à leur bureau de travail, écrivent et lisent ces lettres tant attendues. Seul élément décoratif chez Max Eisenstein, une peinture de Tamara de Lempicka, peintre juive russe. L’éclairage, complice et intimiste, enveloppe le protagoniste qui écrit le mettant en pleine lumière, nous le rendant visible tandis qu’une semi-pénombre nous laisse entrevoir celui qui lit, nous traduisant ces états d’âme et le laissant dans une douce invisibilité. Plus la pièce avance, plus ces bêtes de scène quittent leur zone lumineuse, se rapprochent tandis que leur relation d'amitié se détruit, les mettant à nu, tous les deux, les éloignant irrémédiablement.

Aucun support musical ou presque sinon le bruit d'une radio grincheuse, puisque les mots, seuls, supportent cette correspondance de fin d’un monde.
 
Les propos anodins et familiers échangés en début de la correspondance vont vite se métamorphoser, dégénérer en phrases assassines car le patriotisme de Martin s’incarnera et  signera la mise à mort de cette amitié ne laissant à Max que l’ultime pouvoir de la vengeance, conséquence de cette haute trahison, suite au refus par Martin de sauver la vie de Griselle, sœur de Max, jeune comédienne invitée à jouer  à Berlin et victime de la Gestapo. «Je ne peux être ami d’un Juif.», avoue-t-il.

Amitié trahie, refus entraînant  la mort.

Cette vengeance se matérialisera par les biais de lettres envoyées par Max à Martin prétextant une future exposition à San Francisco demandant l’envoi de tableaux «des peintres dégénérés» pour ne citer que Picasso, lettres truffées de propos amicaux sur la famille et les connaissances des deux anciens amis, portant à croire que des codes y sont dissimulés… La vengeance est amorcée… 

La dernière lettre reviendra : Inconnu à cette adresse.
 
L’Art, symbole de leur amitié, devient l’arme du châtiment.
 
Ces  deux grands acteurs nous entraînent dans une descente aux enfers par un jeu  sobre, magistral, tout en retenues. Le souffle nous manque. Patrick Timsit nous fait vaciller, lors de son effondrement en apprenant la mort de sa sœur tant aimée et nous bouleverse  par sa remontée, moteur de son idée  diabolique.

Thierry Lhermitte, patriote convaincu, nous horrifie par ses tirades racistes et anti-sémites et nous émeut, au moment  de sa chute découvrant le plan machiavélique, implorant l’amitié, sauvegarde de sa vie et de celle de sa famille. Amitié trahie ! Refus entraînant la mort!
 
La véracité du jeu de ces comédiens chevronnés et la profondeur de l’argument nous obligent  à un moment de réflexion sur l’émergence de toute forme de racisme ou d’intolérance et nous obligent à un questionnement: «Comment aurais-je agi, si j’avais été Martin Schulze?»
 
Merci à vous deux, comédiens engagés, de nous permettre de se  repositionner sur le sens du mot Amitié !

Texte écrit avec la collaboration de Christiane Chevrette
 
Inconnu à cette adresse
Théâtre du Nouveau Monde
14 au 26 juin 2016

Plus de contenu