Ce n’est pas un dimanche soir comme les autres. C’est une tradition inévitable. C’est un dimanche soir entre boys qui souhaitent apprécier du basketball de la NBA entre deux équipes des grandes ligues: les Celtics de Boston et les Timberwolves du Minnesota. Au Centre Bell. Une rareté.
Nous sommes vingt, et au total, nous possédons: dix-huit baccalauréats, deux maîtrises, sept enfants, trois bars, un restaurant, six Volkswagen, deux BMW, douze condos, de multiples apparitions télévisées, douze barbes, six cicatrices, deux profils sur Tinder, trois applications MyDisk, aucun divorce. En résumé, ce n’est pas une sortie de pauvres (malgré notre dette cumulée de plus de 2,5 millions de dollars).
Or, la soirée débute au pub McKibbins sur Bishop. Un de ces pubs irlandais où il fait bon de vivre l’ironie de la dépression, mais où dans les faits, il ne s’y déroule rien de particulièrement intéressant. Plusieurs pintes de Harp et quelques shooters de Jameson plus tard, les boys parlent librement de relations de couples à la dérive, de blessures sportives, de l’importance de ne pas voter pour Mélanie Joly et de n’importe quoi d’autre qui puisse se discuter lorsqu’il n’y a pas une femme en couple à l’horizon.
Il y a bien cette serveuse, aux seins pointés si droits que ses mamelons semblent vouloir percer le polo à l’effigie du McKibbins qu’elle porte sur sa poitrine âgée de moins de trente ans. Elle nous rend la vie plus agréable. Dans notre tête. Mais aussi physiquement. C’est le genre de serveuse rousse au teint et à l’attitude parfaits avec qui on a le goût de converser. La plupart des hommes présents n’ont plus rien à foutre de ce que leurs blondes peuvent raconter. Mais lorsque cela vient d’une étrangère, tout est permis, et soudainement, beaucoup plus beau. Dommage que sa vie soit si inintéressante. Elle est barmaid sur Crescent après tout.
On pourrait croire que l’essence même de cette sortie de boys est le match hors-concours de la NBA. Mais ce n’est vrai qu’à 65%. L’essence même de cette soirée, est d’aller «aux totons». C’est assez incroyable de toujours utiliser cette nomenclature en 2013. C’est à croire qu’il est impossible de consommer une poitrine dénudée autrement. Par contre, il y a quelque chose de viscéral dans le fait de fréquenter un bar de danseuses nues.
Tout d’abord, ceux qui décident de ne pas suivre le groupe auxdites danseuses nues pour des raisons qui varient entre « j’ai un blonde et ça ne m’intéresse pas » et « j’ai une blonde et j’ai peur d’offusquer cette dernière ». Au final, c'est la même et unique raison. Or, il y existe cet autre groupe qui, pour les mêmes raisons, décide de justement poursuivre sa soirée dans un établissement où les filles se dénudent, et où on doit assumer des frais de 5$ pour retirer de l’argent au guichet automatique. Et il y a les célibataires dans le groupe, dont je fais partie, qui sont toujours prêts (à tomber en amour avec une fille indépendante de fortune à cause de son physique).
Peu importe le score final du match entre les Celtics et les Wolves, car après 10$ de frais d’entrée, un scotch à 11,50$ et un autre 5$ de pourboire à un doorman d’origine slave, j’apprécie le physique de Julia, danseuse Chez Paré. J’ai d’abord cru qu’elle était Libanaise, puis Marocaine, ou finalement Égyptienne. Elle est originaire de la Martinique. C’est possiblement faux. Comme son nom d’ailleurs. Mais ce n’est pas important. L’important c’est que je puisse profiter pleinement du corps parfait de cette femme qui accepte volontiers qu’on la touche dans un environnement supervisé (par le crime organisé). Contre de l’argent. Et pour un prix relativement moins cher que n’importe quoi d’autre qui est en vente au Centre Bell.
Elle est magnifique. Son odeur est sublime, comme toutes les danseuses nues. Elle me raconte des histoires que je fais semblant de croire. Elle découvre par elle-même que je suis avide de strangulation. Elle me chuchote à l’oreille que je peux apaiser la tension en lui donnant une toute petite tape sur ses fesses. Pas comme si je vais me gêner. Je la tiens dans mes bras comme si elle était quelqu’un d’important. Je feinte de la mordre dans le cou. Je masse le bout de ses seins de mes mains douces. Je la dévore du regard à travers l’obscurité éclairée par des blacklights. Elle se pavane devant le groupe de boys et après 25 minutes, je lui dois 70$.
Je n’en retire aucune satisfaction.
Assis Chez Schwartz’s aux petites heures du matin, le smoked meat est sec et l’instant est propice à se raconter les meilleurs moments de la soirée. C’est un peu ça une soirée de boys : prendre le temps de se raconter les meilleurs moments de sa vie. Certains ont décidé de les oublier et/ou de passer à autre chose. De tirer une ligne franche entre leur passé qui est composé de sorties tardives, de femmes à moitié nues et d’une consommation excessive d’alcool. Ces gens sont tout simplement venus voir un match de basketball sans importance, et sans rivalité. Ces gens ont ressenti un quelconque sentiment à l’effet de devoir se séparer d’une partie du groupe qui souhaitait rejoindre les déesses de la nuit. Ce sentiment leur communiquait de retourner à la maison. Pour vivre autre chose, de plus normal.
Coincés dans leurs lits king en compagnie d’une personne qu’ils ne collent plus depuis des années et qui ne se réveillera que si leurs enfants se lancent dans une crise de larmes, ils ne vivent rien de mieux ou de pire que ma propre personne qui s’endort au reniflant le parfum de Julia qui a trouvé le moyen d’imbiber mes vêtements.
Il n’existe pas de secret à une soirée entre boys.
C’est toujours la même histoire.
On se raconte le passé. On se raconte des histoires. On s’obstine sur un sujet sportif sans importance. On se donne des défis reliés à la nourriture épicée. Mais surtout, on se plaint de ne plus vivre la vie des autres qui se plaignent à leur tour de ne pas pouvoir compter sur quelqu’un de sérieux dans leur vie. Et puis il y a tous les autres qui racontent des mensonges. À leurs femmes, à leurs blondes, ou dans les lignes d’une chronique.
D’une manière ou d’une autre, la soirée entre boys représente le plus grand pathétisme de l’homme occidental du XXIe siècle: nostalgique du passé et tourné vers un avenir qui implique nécessairement une femme insatisfaite de sa condition, mais capable de tout oublier pour quelques billets, une clef de poudre, un enfant ou tout simplement un chum qui rentre tôt.
Quelle belle vie.
Quelle belle soirée.